Cinéphile en campagne

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Billet de blog 9 décembre 2024

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Dahomey, film décolonial

Mat Diop filme le retour au Bénin de 26 objets, depuis le musée du Quai Branly où ils étaient captifs. Avec une puissance d’évocation troublante et réjouissante.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Trois mois après sa sortie en France, je peux enfin voir Dahomey au fond de ma campagne, entourée d’une trentaine de personnes. Il me faudra parler un jour de la condition rurale et de son difficile accès à la culture… peut-être une des raisons de mon enthousiasme pour ce film.

La force des mots, la puissance des images

Cela commence dans le noir, par une voix caverneuse… je ne sais pas encore qui parle, ni dans quelle langue, mais je me sens comme une captive, dans une cale de la traite négrière. Lorsque les « objets » vont apparaître dans les sous-sols blancs du Musée du Quai Branly, je ne pourrai pas ne pas penser que ces merveilles sont des oeuvres toujours en esclavage.

Puis vient la préparation au transport. Dans un film où chaque image a une profondeur symbolique, comment ne pas voir une grande statue, face contre terre, porter une immense chaîne autour du cou - bien sûr il s’agit de la transporter, mais là encore je ne peux pas ne pas voir émerger l’image de l’esclavage. 

Puis vient le transport, dans une caisse scellée comme un cercueil. Ces oeuvres, cette mémoire, ne doivent-elles pas revenir d’outre-tombe? Les statues meurent aussi. Le film ne va pas nous parler de leur déplacement mais de leur réanimation.

Qu’est-ce qui revient?

Côté français : des palans et des caisses à roulettes qui tiennent à distance les objets - côté béninois : des hommes qui portent à main nue les caisses jusqu’à un tapis rouge ou dans des escaliers. Comme on le ferait pour un dignitaire important, qui va attendre dans l’anti-chambre l’entrevue avec le président. Mais certaines images deviennent ambivalentes, et ces porteurs du trône du roi sont-ils des hommes libres qui se ré-approprient les vestiges de leurs ancêtres ou des ouvriers, esclaves des temps modernes? Porte-t-on avec respect ces caisses fermées ou avec la crainte d’esprits dans un pays racine du vaudou?

Autre image ambivalente : les conservateurs béninois portent une blouse blanche, comme un symbole suranné de la science occidentale. Mais ils en deviennent ainsi les médecins penchés au chevet de statues malades. Statues d’abord réduites à des données (un poids, un état de conservation, des matières…) avant de pouvoir se réinscrire dans des récits lors de la visite au musée. Il y avait donc quelque chose de pourri au royaume ....

Redonner vie par le cinéma

Vont se poser beaucoup de questions : quel est le sens d’un musée au Bénin? Qui y a accès? La place accordée au patrimoine matériel ne se fait-elle pas au mépris d’un patrimoine immatériel? N’est-ce pas seulement un coup de politique internationale? 26 objets sont « restitués » par la France sur les 7000 pillés, est-ce un début ou une insulte?…

Tout s’anime : les hôtes de marque, la parole des étudiants, les plantes et les rideaux dans la nuit, le visage des visiteurs… quelque chose d’impalpable re-circule autour des statues revenus au pays. Selon une visiteuse, il s’agit d’un mouvement d’objets qui accompagne celui d’afro-descendants qui décident eux-mêmes de revenir vivre en Afrique.  Jeunesse, beauté, espoir… pour nous aider à comprendre, sans grande théorie, qu’il est juste et puissant que ces oeuvres reviennent auprès de celles et ceux pour lesquels.les elles signifient histoire et puissance. Mais le permettrons-nous?

Illustration 1
Murmurer à l'oreille des statues © Films du Losange

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