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Billet de blog 10 janvier 2024

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Le film de ma mère

Dans « Little Girl Blue », Mona Achache se livre à un étrange jeu de miroir avec sa mère. Une expérience de cinéma par forcément confortable qui appelle à l’analyse.

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Sur la plage abandonnée

Commençons par la fin : une fille prend soin de (l’image de) sa mère. Cette dernière a laissé une masse étouffante d’archives intimes : photographies, carnets, audios, lettres, transcription du journal intime de sa propre mère… La fille va d’abord chercher à organiser cette masse informe. Elle semble avoir tout en main pour mener l’enquête et comprendre - mais l’autre toujours se dérobe, quand bien même il s’impose. 

Les archives lui semblent vite insuffisantes. Elle veut la présence : elle veut ré-incarner sa mère, et demande à Marion Cotillard de se glisser dans ses vêtements, sa peau, sa voix, jusqu’à son insupportable façon de déglutir. Le deuil justifie-t-il à lui seul cet appel démesuré à la présence du corps maternel? D’autant plus dérangeant qu’il passe par une emprise sur le corps de l’actrice.

Le roi des aulnes

Plane l’ombre de Jean Genet. Et avec lui l’injonction intellectuelle à ne pas être banale. Prise de pouvoir tintée de sexisme. Pouvoir qui est celui de détruire. Face auquel les femmes enfantent, tentant de (pro)créer. Le drame de Carole n’est-il pas de n’avoir pas été reconnue comme créatrice? Qu’est-ce alors que ce désir et ce poids d’être reconnue à travers une production artistique? Une femme au corps oblitéré cherche-t-elle à s’en sortir par des productions de l’esprit?

Mona Achache livre à travers le portrait de sa mère celui d’un milieu et d’une époque - déjà évoqué par Camille Kouchner dans La familia grande. L’injonction au plaisir a-t-elle été une libération pour les femmes? pour des enfants traité.es en adultes? Les relations de dominations semblent avoir joué plus brutalement encore - et les subir était parfois source de fierté…

Comment te dire adieu

L’ambivalence émerge aussi avec la question du retour du trauma. La mère a-t-elle souhaité que sa fille connaisse l’agression, pour que soit reconnue celle qu’elle avait elle-même subie? Y a-t-il un désir maternel monstrueux qui consiste à vouloir que cette chair née de ma chair re-connaisse ce qui n’a pas pu être clairement dit? 

La volonté de (se) transmettre donne au suicide une dimension plus tragique encore, comme s’il l’avait emporté sur la volonté de durer. Une fois les archives évacuées restera le vide laissé par la mort de la mère - et il sera peut-être, après la déstabilisation première qu’il provoque, plus facile à vivre pour celle qui reste que cette demande désespérée - adressée à la fille pour n’avoir pas été adressée à la grand-mère - d’être comprise. 

Illustration 1
Retrouver un visage © Les films du poisson

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