Lee : le réel derrière la photo
Alors autant le dire, ça commence mal, par une série de clichés : cigarette, alcool, sexe, copines en voiture et déjeuner sur l’herbe (pour le cas où vous n’auriez pas vu la référence du tableau qui se cache derrière la photo - ce qui lui fait raconter tout autre chose). Voilà tous les poncifs de l’américaine libérée, qui vont donner lieu à des dialogues affligeants. Passons.
Signalons seulement que Lee Miller est jouée par Kate Winslet - qui, à presque 50 ans, incarne en 1937 à Mougins une Lee de 30 ans. Un casting plutôt à rebours de ce qui se fait habituellement. Le réel du film étant comme déjà moins glamour que celui donné à voir dans les photos N&B. Les photos de presse apparaissent ici comme incapables de communiquer le réel - et c’est le cinéma qui prend le relais pour leur donner de la profondeur.
Un regard situé
Le film montre (de manière appuyée) qu’en tant que femme, Lee ne peut pas accéder à certains espaces. Un regard situé, c’est d’abord un regard limité par la réalité sociale (ici en l’occurrence l’armée). Un point de vue est situé d’abord par ce à quoi il ne peut pas accéder du fait d’une condition sociale. La force du personnage est de faire quelque chose de ces limites, qu’elle photographie de jeunes femmes pendant le blitz à Londres ou des blessés à l’hôpital militaire.
Lee souligne ensuite qu’un regard est toujours nourri de sa propre histoire : Lee Miller connaît la domination masculine et les violences faites aux femmes. Son regard capte des évènements du fait qu’ils ont pour elle une résonance personnelle. C’est aussi vrai pour son collègue David Sherman : il prend le chemin des camps d’extermination en tant que photographe qui va se souvenir qu’il est juif.
Vivre la guerre
Ce biopic, qui se déroule en grande partie pendant la seconde guerre mondiale, rappelle aussi que la guerre n’est pas la même selon là où on se trouve : elle est un évènement qui produit une pluralité de situations, bien que toutes ramenées sous un même terme. Selon que l’on est à Paris ou à Londres, qu’on est un infirmier arrivant dans les camps ou un officier installé dans le bureau d’Hitler, le mot « guerre » ne renvoie pas à la même réalité.
Nous qui avons l’habitude de vivre de loin, derrière les médias, toutes les catastrophes de notre temps, pourrions mieux prendre en compte cette distance. Ce n’est parce qu’on voit des images, qu’on écoute des analyses, qu’on éprouve de la colère ou de la compassion, qu’on vit le trauma. Avec lequel il faut tenter de vivre.

Agrandissement : Illustration 1
