Changement d’époque : filmer la campagne (plutôt que la banlieue?)
Avec ces deux premiers films, on pourrait jouer au jeu des ressemblances : un jeune homme autour de 18 ans qui voit se dessiner son avenir professionnel, un père disparu, une petite soeur attachante qui l’ancre dans le vie, un plan cul à l’horizon qui pourrait cacher quelques sentiments, une bande de potes avec laquelle on boit, une propension à se mettre à la place du mort, la passion des engins à moteurs et des compétitions dans la boue, des rêves de victoire pour gagner de l’argent et sortir de là…
Et puis les territoires où sont né.e les réalisateur-ices, le Jura pour l’une, l’Anjou pour l’autre. Une campagne magnifiée dans Vingt-dieux, polarisée par l’horizon fantasmé de la ville d’Angers pour La Pampa. On est paysan dans le premier cas, et l’on n’imagine pas être ailleurs ; on vit dans le monde ouvrier dans le second cas, et le bac semble encore un sésame pour une autre vie. Le risque, c’est d’exotiser pour un spectateur urbain cette campagne française (comme l’avait fait le documentaire Etre et avoir de Nicolas Philibert : "Ah, ma bonne dame, ces enfants du monde rural, ils savent en faire des choses quand même…" - ne comprenant pas que chez les pauvres, les enfants travaillent dès leur plus jeune âge). Car, sans misérabilisme, il s’agit de montrer des « familles modestes », éclatées, recomposées. Aucune institution sociale dans Vingt-dieux, l’école peut-être encore comme espace d’une dernière chance dans La Pampa. Des vies à l’écart des réseaux de transport - d’où l’importance d’être motorisé, de savoir mettre les mains dans le cambouis, et la fascination pour les engins à moteur.
Dans ces mondes-là, il s’agit pour de jeunes hommes de se positionner par rapport à une forme de violence sociale - la grande précarité pour Totone, les préjugés homophobes pour Willy. Violence physique aussi, toujours latente. La disparition des pères semble ouvrir la possibilité d’aller vers d’autres modèles de masculinités.
Place des femmes
C’est sur la place accordée aux personnages féminins dans la construction de la masculinité que les deux films se distinguent le plus. Dans Vingt-dieux, Maïwène Barthelemy est incroyable. Son personnage de Marie-Lise est une sorte d’héroïne agricole, taiseuse, solaire, pragmatique, et pourtant dominée au sein de sa famille. Elle est celle à qui on a laissé les vaches plutôt que le fromage, et qui se lève à 5h tous les matins pour la traite. Elle aidera Totone mais se sert d’abord de lui pour son propre plaisir, alors qu’elle le domine socialement. Refusant de le materner et de le suivre dans ses jérémiades, elle ne s’embarrasse pas des sentiments.
Marina, l’amour naissant de Willy dans La Pampa, est lui plus effacé. Elle est une échappée possible vers un autre monde (sa réputation sulfureuse, la ville, le musée, la belle maison du père, la voiture), mais, écorchée dans sa liberté, elle se méfie des forceurs. Willy ne la laissera pas jouer les sauveuses. Le jeune homme n’a plus besoin de l’amour d’une belle pour changer de trajectoire. C’est une image de la douleur qui va s’en charger.
Chez Louise Courvoisier, la fille est plus construite que le garçon, il peut prendre la roue, mais elle trace son chemin. Chez Antoine Chevrollier, la jeune fille est un horizon parmi d’autres pour le jeune homme, et ne sera pas celui qui décidera de sa trajectoire. Dans les deux cas le couple naissant est dégagé d’une forme de rédemption par le sentiment. Enfin…
Agrandissement : Illustration 1
Vingt-dieux, de Louise Courvoisier, découvert au festival Indépendances et Création d’Auch (32) - Prix Jean Vigo - sortie le 11 décembre 2024
La Pampa, d’Antoine Chevrollier, découvert au Festival du film de Muret (31) - sortie le 5 février 2025