Un film de cinéma
Il reste encore demain est un film profondément ancré dans l’histoire du cinéma italien, et dans les décors N&B du néo-réalisme. Mais la réalisatrice assume pleinement d’en faire le pastiche et de mélanger les genres. L’usage d’une musique franchement anachronique avec celle de l’Italie post seconde guerre mondiale, et les passages de comédie musicale (un tango assassin ou une chansonnette bouche fermée), indiquent clairement la volonté de jouer avec le cinéma. Ce jeu met à distance un sujet grave, la violence conjugale, et permet de l’aborder sans agresser la spectatrice par une débauche de ressentis désagréables (comme le fait par exemple Le jeu de la reine de Karim Aïnouz). C’est un choix, représenté par ces bleus qui apparaissent et disparaissent magiquement. Il s’agit de tenir un discours sur la violence sans l’infliger aux spectateur.ices.
Ce que nous projetons sur une femme
La prouesse du film, c’est son scénario, qui joue avec les représentations que nous avons de ce que peuvent être les désirs et les ressources d’une femme. Nous la voyons recevoir une lettre après avoir échangé avec un amour de jeunesse qui lui annonce son départ, puis Delia se coud un nouveau chemisier, prépare un sac en cachette, laisse de l’argent à sa fille. Je l’avoue : sentimentale et romantique, j’ai projeté qu’elle allait fuir avec l’amour de sa vie… pas accomplir un geste politique avec d’autres femmes. J’ai donc bien en moi cette représentation que pour qu’une femme se sorte des pattes d’un homme (violent), il faut qu’elle trouve un homme (aimant)!!! On n’en sort pas… La force du film, c’est de permettre aux spectatrices de prendre conscience de ce qui les anime encore : l’amour (plus belle arme du patriarcat) avant la politique, l'individu avant le collectif.
C’est quoi un geste politique
On peut toutefois être sceptique sur la perspective politique proposée. Si la révolte de Delia, en 1946, peut consister à mettre pour la 1° fois un bulletin dans une urne, difficile de penser, aujourd’hui que Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir par les urnes, qu’il s’agit là d’un geste qui va améliorer la condition des femmes. Delia est capable de faire poser une bombe pour que sa fille échappe à un destin de femme battue - auquel elle-même ne se soustrait pas. Comme si en tant que mère elle pouvait ce qu’elle ne peut pas en tant que femme. Reste la peinture des humiliations sexistes permanentes, bien au-delà du cercle familial, du salaire inférieur à la stigmatisation du rouge à lèvres. A force d’attendre demain, on n’a peut-être pas tant avancé que cela.
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