Une société paranoïaque
Ombres persanes, de Mani Haghighi, sorti l’an passé, faisait déjà le constat, avec un traitement fantastique, de la paranoïa profonde qui anime le régime iranien et contamine toutes les relations sociales. Dans Les graines du figuier sauvage, Mohammad Rasoulof l’utilise pour créer une tension permanente, mais la projette dans le regard de son spectateur : les mensonges et trahisons dont nous avons connaissance nous amènent à tout mettre en doute. Tout peut trahir, tout peut être reproché, toute question peut être le prélude à un interrogatoire. Le film nous fait entrer dans les dysfonctionnements relationnels constitutifs de la dictature. C’est extrêmement déstabilisant.
Confinement et patriarcat
Le réalisateur était en prison au moment de l’insurrection qui a fait suite au meurtre de Mahsa Amini. Mais c’est plutôt dans une forme de confinement qu’il va installer ses personnages féminins. On ne comprend bien la mère au foyer qu’au regard de son confinement permanent : si elle insiste pour un 4 pièces ou un lave-vaisselle, c’est probablement parce que la cage est étroite et les tâches ménagères limitées. Son canal d’information principal est la télévision d’état. Dans une sorte de contre-bande insouciante, ses filles regardent sur leurs téléphones des vidéos des manifestations - que nous voyons nous aussi. Ces documents historiques rappellent l’ancrage réel et contemporain de la fiction. Les accès différents au monde et à l’information sont un des ressorts du conflit de génération.
Cela n’empêchera pas que se mette en place une solidarité féminine, à la fois intergénérationnelle, et sororale au-delà des liens familiaux. Sans héroïsation malvenue, Rasoulof pointe le caractère essentiellement anti-patriarcal des évènements en cours. « Femmes, vie, liberté » n’est pas qu’un slogan, nous en saisissons toute la consistance. Et toute la difficulté : il n’est pas facile à des filles et des femmes de faire face à leur père et leur mari. Mais c’est bien le coeur de toute lutte anti-patriarcale.
Du huis-clos familial à la fable
Les conditions de tournage, dont on peut lire un récit sur le site du CNC, sont en elles-mêmes un acte de résistance : il a fallu tourner clandestinement et faire circuler des images malgré le contrôle de l’Etat. Les lieux de tournage sont peu nombreux, mais le film bascule en passant d’un appartement à Téhéran à une maison de famille isolée à la campagne. Toute cette dernière partie du film devient une évocation métaphorique de l’état actuel de l’Iran : un pays isolé, obsédé par son origine, qu’il est impossible de fuir, dans lequel un régime autoritaire ne parvient pas à tout surveiller, et qui va s’effondrer de lui-même. L’image puissante d’une main baguée et d’un révolver dira tout l’espoir que met Rasoulof dans l’insurrection en cours. Une leçon sur ce que peut encore parfois le cinéma.

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