Indécence
La réalisatrice iranienne vivant en France Sepideh Farsi a eu les honneurs de la presse au Festival de Cannes pour son film Put your soul on your hand and walk. Dans ce film sincère et assez mal filmé, nous suivons le dialogue difficile par téléphones interposés entre la réalisatrice et Fatma Hassona, une jeune photographe gazaouie de 25 ans.
La jeune femme évoque, toujours avec le sourire, sa situation de survie à Gaza. La réalisatrice évoque elle aussi sa vie : ses chats (qui passent avant tout), ses voyages, ses vacances dans une maison au bord de la mer, son luxueux appartement parisien… Le décalage est saisissant et met profondément mal à l’aise, sans que la réalisatrice ne semble en avoir conscience.
Narcissisme
Les échanges se déroulent principalement en mauvais anglais, ce qui appauvrit probablement le dialogue. Au fil du dialogue, la réalisatrice ramène toujours le propos à sa propre situation d’exilée iranienne. Elle interroge Fatma sur le hihab qu’elle porte : oui c’est un enjeu politique fort en Iran, mais est-ce au coeur des préoccupations à Gaza? Elle l’interroge pour s’assurer qu’elle ne cautionne par le leader du Hamas Yahya Sinwar, soutenu par le méchant régime iranien. Et ne semble pas savoir ce que c’est qu’un Apache. La conversation est souvent vaine. Mais le plus choquant n’est pas là.
Ne surtout pas avoir honte de son inaction
Au début du film, Fatma s’en remet à Dieu. C’est son monde, ses croyances, et c’est immensément respectable. Vue la situation inextricable dans laquelle elle se trouve, n’en ferions-nous pas autant? Mais comment la réalisatrice peut-elle dire « je sais que je ne peux rien faire » - alors que lorsqu’il s’agira à la fin du film de faire venir la jeune femme à Cannes, elle aura visiblement trouver les moyens de la faire sortir, au moins un temps, de son enfer quotidien? Elle évoque le découragement qu’elle observe en Iran, où selon elle on pense « qu’il ne sert à rien de se battre ». Le chef d’oeuvre de Mohammed Rassoulof, Les graines du figuier sauvage, projeté à Cannes l’an passé, semblait pourtant nous montrer le contraire. Peut-on par ailleurs comparer la souricière de Gaza avec le covid? L’Occident doit se sentir bien soulagé lorsque Fatma déclare « c’est suffisant, tu m’écoutes ». Non Fatma, il n’est pas suffisant que nous soyons derrière notre écran à écouter tes espoirs brisés. Nous ne faisons rien pour toi et il n’est pas juste que tu nous en excuses.
Film vautour
Fatma était une photographe de guerre très douée. Ses photos, qui sont montrées dans le film, malgré l’horreur de ce qu’elles représentent, apparaissent comme des pauses esthétiques dans un film moche. Ce décalage empêche de voir ce qui est réellement montré - nous voyons la beauté sans être touchés par l’horreur, nous voyons sans voir ; nous voyons tout et nous restons silencieux dit Fatma elle-même.
Fatma est jeune, belle, le mot « génocide » n’est jamais prononcé, sa situation semble fatale et apolitique. Et nous célébrons ce film qui nous déculpabilise de notre inaction en nous faisant éprouver une vague pitié pour cette jeune femme. Faisons l’hypothèse la plus dérangeante : le projet de sa venue à Cannes lui a mis une cible dans le dos.
Cessons de nous approprier des voix et des images qui ne nous appartiennent pas. Cessons de faire ainsi dans le domaine de la culture ce que l’armée israélienne fait à Gaza. Nous sommes incapables de voir que c’est le même geste. Laissons à celles et ceux qui survivent à Gaza exprimer eux-mêmes leur quotidien, leurs pensées, leurs émotions. Ce film existe : il s’appelle From ground zéro. C’est une série de courts-métrage réalisée par des gazaoui.es, produit par le Fonds Masharawi pour les Films et les Cinéastes de Gaza. Si vous le pouvez, faites diffuser ce film, qui parlera de lui-même. Pour Gaza, depuis Gaza.

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