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Billet de blog 29 août 2023

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Rêveries du promeneur solitaire sous de tristes tropiques

Pour son premier long métrage, "Adieu sauvage", Sergio Guataquira Sarmiento retourne dans sa Colombie natale sur les traces de « l’épidémie des cordes ». Pourquoi dans la forêt amazonienne se suicide-t-on par amour?

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Filmer / dribbler entre Keaton et Kandiaronk

Sergio est descendant d’amérindiens, mais il vit aujourd’hui en Belgique. Peut-être en quête de sa part d’indianité, il part avec le projet de documenter une épidémie de suicides au coeur de la forêt amazonienne. C’est qu’il semblerait qu’on y meurt aujourd’hui plus qu’ailleurs de chagrins d’amour. Comme si une période romantique fleurissait dans une culture sud-américaine et que la fièvre de Werther frappait désormais en Colombie. On pense au sublime documentaire Cantos qui inundan al Rio, de German Arango, primé à Cinélatino en 2022, qui, s’il se déroulait à l’autre bout du pays, portait lui aussi une tonalité élégiaque singulière. Dans une Colombie peuplée des fantômes de la guérilla, la tristesse n’est pas un sentiment individuel, c’est aussi une histoire sociale.

Mais Sergio est-il un indien? Il est maladroit en tout, peine à travailler avec les hommes comme avec les femmes. Corps burlesque d’un jeune homme en quête d’identité, il semble nous embarquer sur le terrain anthropologique. Le film glisse et se décentre vers Lauréano, le « bon sauvage » qui l’accueille. Puis on laisse de côté les croyances exotiques pour une parole intime qui incite à envisager la dimension culturelle d’émotions que l’on prenait pour universelles. Lauréano ne saisit pas bien le mot « nostalgie », bien qu’il ait exprimé quelque chose qui y ressemble en montrant une photographie de son père. Dans sa langue, on ne dit pas « je t’aime » mais on peut souffrir à vouloir en mourir d’aimer une femme et de devoir en épouser une autre.

L’anthropologue burlesque laisse place à une méditation sur l’amour, la nostalgie et le désir de disparition. On comprend alors le choix du Noir et Blanc, qui permet d’oublier l’exotisme facile de la jungle tout en regardant vers un cinéma disparu. Dire adieu à ce que l’Europe a pensé comme « sauvage » entraîne dans son sillage toute une conception de l’amour, des mots et de l’image cinématographique. 

Illustration 1
Glisser vers les limbes © Fox the fox

Note : Kandiaronk est un chef wendat de la fin du XVIII°s auquel David Graeber et David Wengrow redonnent une place intellectuelle et historique dans Au commencement était. Le chapitre qui le concerne a été pré-publié dans ce club par la Revue du Mauss le 17 octobre 2019.

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