Chose promise, chose due. Dans ce billet, je vais tâcher de faire le point sur les profonds bouleversements que viennent de subir le droit à la retraite des mamans et des papas dans le privé (faute de maîtriser le sujet pour les fonctionnaires). Et qui sont applicables depuis le 1er janvier 2010 qui plus est.
En guise d’introduction, je dirai simplement que je suis surprise de l’écho relativement restreint qu’a connue ce sujet : la revendication des pères de famille à bénéficier des mêmes avantages que les mères de famille en matières d’acquisition de trimestre pour la retraite.
Pourtant le débat fut houleux entre les associations de défense des papas et celles de défenses des mamans ; l’affrontement de deux visions à la fois justes et irréconciliables. Et je gage que le sujet ne saurait laisser indifférent les médiapartiens qui me liront.
De même, je suis étonnée de voir que l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale 2010 qui vient trancher la question n’a pas eu plus de publicité ALORS MEME que les droits à la retraite des individus qui sont parents ont été profondément modifiés. Un coupable silence ? A vous de juger…
Avant le 1er janvier 2010 : la retraite des mères
Jusqu’à cette date, une maman (biologique ou adoptive) bénéficiait d’une majoration de la durée d’assurances (dans le calcul des pensions de retraite) de huit trimestres pour chaque enfant élevé par celle-ci pendant au moins huit ans et jusqu’à son seizième anniversaire.
C’est l’article D351-1-7 du code de la sécurité sociale qui le dit comme suit : il est attribué « un trimestre d’assurance à compter de la naissance ou de l’adoption d’un enfant (…), puis, dans la limite de sept trimestres pour chaque bénéficiaire de la majoration et jusqu’au seizième anniversaire de l’enfant, un trimestre d’assurance supplémentaire, à chacune de ses dates anniversaires ».
Concrètement, dans la grande majorité des cas, une maman dans le privé avait droit de façon quasi automatique à une majoration de deux ans par enfant pour le calcul de sa retraite et ce en dehors de toute considération sur sa carrière professionnelle (s’est-elle arrêtée ou non ? et si oui, combien de temps ? etc.) ou sur son salaire.
En somme, du point de vue de la retraite, les enfants sont affaires de femmes uniquement. Un dispositif que nul n’avait songé à remettre en cause depuis sa création.
La fronde des papas
Mais voilà : autres temps, autres mœurs.
Le conseil d’état fut saisi du cas d’un magistrat, père de trois enfants, qui réclamait les mêmes bonifications de retraite (un an de cotisation gratuite par enfant) que les femmes retraitées de la fonction publique.
Le conseil d’état demanda à la Cour de justice européenne de se prononcer sur cette inégalité de traitement en matière de retraite entre hommes et femmes.
Dans son arrêt du 29 novembre 2001, la Cour de justice européenne jugea que ces bonifications de retraite accordées aux femmes retraitées de la fonction publique devaient aussi bénéficier aux hommes ayant élevé des enfants.
Dans la mesure où elles n'étaient en rien liées au congé maternité, en vertu du principe de l'égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes, posé par le Traité de Rome, puis par une directive, il n'y avait pas de raison que les pères fonctionnaires qui participent à l'éducation de leurs enfants n'aient pas les mêmes avantages que les mères.
Le premier coup à l’édifice avait été porté.
S’engouffrant dans cette première brèche, les demandes de papas pour bénéficier des mêmes avantages retraite que les mères affluèrent mais furent rejetées par la sécurité sociale.
Ils ont donc porté l’affaire sur le terrain de la justice ainsi que devant la HALDE, dés les premiers mois de sa création (pour mémoire le 30 décembre 2004).
La Haute Autorité rendit un premier avis le 3 octobre 2005 (n°2005-43) estimant que les dispositions du code de la sécurité sociale, bien que conformes au droit communautaire, étaient incompatibles avec la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme (et plus particulièrement de l’article 14).
Elle a été suivie dans ses conclusions par la Cour de cassation le 21 décembre 2006 et par la Cour d’appel de Paris le 5 juin 2008.
Lors de cette première délibération, la HALDE avait invité les pouvoirs publics soit à justifier cette exclusion des hommes des avantages consentis aux femmes pour l’éducation des enfants, soit à modifier la loi en conséquence pour se mettre en conformité avec la Convention des droits de l’Homme.
Devant le manque de réactions du gouvernement, la HALDE rédigea un rapport spécial daté 27 octobre 2008 recommandant au ministre du Travail, des Relations sociales et de la famille de tenir compte de ses remarques et d’initier une modification du code de la sécurité sociale en conséquence.
Le 19 février 2009, la Cour de cassation enfonça le clou non seulement en accordant à un père de famille le bénéfice de la majoration des droits à retraite mais en plus en précisant qu’il n’a pas à apporter la preuve d’avoir élevé seul ses enfants.
[Ce qu’elle avait pourtant demandé en 2006.]
Devant tant d’insistance de la part de la HALDE et des juges, le gouvernement ne pouvait plus tergiverser bien longtemps.
Et la tempête faisait rage… dans son verre d’eau
Et pendant ce temps, le débat faisait rage de façon assez confidentielle entre les associations de défense de papas et celles de défense des mamans, soutenues par les féministes.
Côté papas, il s’agit de faire cesser une discrimination sexiste. La position de Gérard REVEREND, président de l’association « Les Papas = Les Mamans », résume bien – à mon sens – leur problématique : favorable à une réforme qui permet aux papas de bénéficier des mêmes droits à retraite que les mamans, ils s’opposent à l’idéologie qui consiste à faire de la mère la seule bénéficiaire des avantages parentaux. Il n’est pas question de supprimer ces avantages aux mères ni de nier que ce sont les femmes qui accouchent, mais de reconnaître l’importance de la période post-naissance dans l’éducation des enfants et de convenir que les papas y tiennent toutes leur place.
Dans son blog sur le site du Nouvel Obs., Patrick LOZES, président du CRAN, fait valoir que le droit anti-discrimination n’est pas l’ennemi des mamans. Pour lui, « les partisans de l'égalité ne sont pas en guerre contre les grossesses et les acteurs de la lutte contre les discriminations n'en veulent pas aux bébés ! » Il ne s’agit pas ici d’oublier les fortes discriminations qui touchent les femmes dans le monde du travail et qui – de fait – impact leur retraite (nous y reviendrons plus loin) mais il faut saisir cette opportunité pour « réfléchir sereinement à de nouvelles relations au sein du couple […] et inciteraient les pères à partager les tâches domestiques ainsi que l'éducation des enfants ».
Pas de guerre des sexes déclarée donc, mais la volonté d’une égalité de droits. Tout ça ne manque pas de sel et me rappelle un peu les arguments des féministes françaises du XXème siècle concernant le droit de vote.
Côté mamans, les réactions sont loin d’être sereines. « Menaces sur la retraite des mères de famille », « la retraite des mères de famille : l’égalité contre la justice »… ces titres d’articles pris au hasard sur Internet révèle le profond malaise que suscite ces revendications égalitaires. A juste titre d’ailleurs car on a bien compris, ici et là, plusieurs petites choses.
La première, c’est que l’ancien système de majoration compensait des inégalités hommes/femmes bien réelles, aussi bien sur le marché du travail que dans la répartition des tâches au sein du couple, qui viennent – de fait – impacter défavorablement la retraite des mères.
Ce sont encore très majoritairement les femmes qui écourtent leurs études, s’arrêtent de travailler pour éduquer les enfants ou bien qui « choisissent » (j’adore !) des temps partiels.
Par conséquent, c’est à elles qu’on oppose ces interruptions de carrière et cet investissement familial pour brider leur salaire et leurs responsabilités au sein des entreprises. Pour preuve, en entretien d’embauche, combien d’hommes entendent ces questions (inévitable pour toutes les femmes) : Vous voulez des enfants ? Comment vous organisez vous avec vos enfants actuellement ? Si vous avez un enfant, vous comptez prendre un congé parental ? etc.
Comme dans toute bonne spirale infernale, si Madame perçoit moins que Monsieur et qu’en plus, elle a moins de chance d’avancement, le choix économique rationnel du couple sera de privilégier la carrière de Monsieur (pour ne pas risquer de perdre la principale source de revenue) pendant que Madame s’occupera des enfants. Renforçant ainsi les à priori des employeurs pour de futurs jobs…
Un article du site Internet « SOS les mamans » de décembre 2008 rappelle quelques « réalités objectives » sur la question :
- Les interruptions d'activité liées aux enfants, restent spécifiquement féminines (seulement 1,5 % des pères ayant un emploi cessent ou réduisent leur activité après une naissance, contre 35 % des mères).
- Le chômage est en outre plus fréquent pour les femmes. Le taux de chômage des femmes âgées de 25 à 49 ans était ainsi de 8,1% en 2007, contre 6,6% pour les hommes de cette tranche d'âge.
- Au total, le taux d'emploi des 15 à 64 ans s'élevait à 59,7 % pour les femmes et 69,0 % pour les hommes.
- Le travail à temps partiel des femmes s'est fortement développé dans les années 80 et 90 avant de se stabiliser : depuis dix ans, les emplois à temps partiel représentent environ 30 % de l'emploi féminin (contre 5% de l'emploi masculin 80% des emplois à temps partiel sont ainsi occupés par des femmes. Dans près d'un tiers des cas, ce temps partiel est « subi », au sens où les femmes concernées auraient souhaité travailler davantage.
- Depuis le milieu des années 70, les écarts de salaire entre les hommes et les femmes se sont nettement réduits, mais ce rapprochement s'est interrompu depuis le milieu des années 90. L'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes s'est stabilisé autour de 20 % pour les emplois à temps complet.
- En termes de durée d'assurance, les femmes parties en retraite en 2004 ont validé en moyenne 20 trimestres de moins que les hommes (137 trimestres contre 157) malgré les majorations de durée pour enfant ; seules 44 % d'entre elles ont une carrière complète contre 86 % des hommes».
- Les écarts de pension entre les hommes et les femmes sont importants : en 2004, les femmes retraitées de 60 ans et plus percevaient une retraite moyenne (droits propres, droits dérivés et minimum vieillesse) de 1020 € par mois, soit 62 % de celle des hommes (1636 €) ; des écarts d'ampleur comparable se retrouvent dans toutes les tranches d'âge…
La deuxième chose que l’on a bien compris, c’est qu’à l’heure où on l’on ne cesse de marteler que les caisses de retraite sont vides, il ne s’agira pas de fournir gentiment aux papas exactement les mêmes avantages qu’aux mamans mais plutôt, comme on dit chez moi, de « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Autrement dit, ce qu’on donnera aux papas, on risque fort de le prendre aux mamans.
Car bien sûr, il n’est pas question de remettre en cause le principe « un qui travaille, l’autre qui éduque ». On a beau nous répéter à l’envie qu’un enfant s’éduque à deux, l’importance de la cellule familiale tout ça tout ça, il y a des évidences pédagogiques qui échappent aux logiques économiques. D’autant qu’on parle d’un système qui coûterait déjà 4 milliards d’euros par an (c’est ce que j’ai lu, mais je ne saurai dire quel crédit accorder à ce chiffre).
Les mamans avaient donc toutes les raisons d’être inquiètes et en colère.
La solution de la loi de financement de la sécurité sociale 2010
Convenons-en, le problème est particulièrement épineux. Après consultation de la CNAV, voici la solution adoptée le 24 décembre 2009 dans l’article 65 :
Il existe désormais deux majorations distinctes différentes : une de maternité/adoption et l’autre d’éducation.
La majoration de maternité :
Les mères assurées sociales bénéficient d’une majoration de 4 trimestres de retraite par enfant au titre de la grossesse et de la maternité.
La majoration d’adoption :
Les mères adoptives d’un enfant mineur bénéficient par défaut d’une majoration de 4 trimestres de retraite au titre de l’incidence sur la vie professionnelle par adoption (simple ou plénière).
Toutefois, si les parents le décident ainsi, ils peuvent désigner d’un commun accord qui d’entre eux bénéficiera de la majoration ou, le cas échéant, pourront définir de la répartition au sein du couple de ces trimestres (0/4, 2/2, 1/3). Ils ont jusqu’au six mois à compter du quatrième anniversaire de l'adoption de l'enfant pour faire part de leur volonté à la caisse d’assurance vieillesse.
En cas de silence, ces trimestres seront attribués par défaut à la mère adoptive.
En cas de désaccord, exprimé par l'un ou l'autre des parents dans ce délai, la majoration est attribuée au parent qui aura établi avoir assumé à titre principal l'accueil et les démarches d’adoption ou, à défaut, sera partagée par moitié entre les deux parents.
La majoration d’éducation :
Une majoration de 4 trimestres est accordée aux couples au titre de l’éducation de l’enfant.
Pour les enfants nés avant la réforme, cette majoration reviendra à la mère (adoptive ou biologique) SAUF si le père démontre qu’il a élevé seul son enfant.
PAPAS ATTENTION : vous avez eu (ou adopté) un ou des enfants avant le 2 juillet 2006 et vous souhaitez demander à bénéficier de tout ou partie des trimestres d’éducation. Une circulaire du 22 juin 2010 de la CNAV précise que vous avez jusqu’au 28 décembre 2010 pour en faire la demande et prouver à la caisse d’assurance vieillesse que vous avez élevé seul votre (vos) enfant(s).
Il vous reste donc moins de 6 MOIS pour agir si vous êtes concernés par le sujet ! Pas de temps à perdre !!!
La même circulaire précise que pour les enfants nés (ou adoptés) du 2 juillet 2006 au 31 décembre 2009, les pères ayant élevé seuls leur enfant devront attendre qu’il ait atteint son quatrième anniversaire (ou le quatrième anniversaire de son adoption) et se prononcer dans les six mois qui suivent cette date. Toute demande réalisée avant ou après ce délai sera réputée nulle !
Pour les enfants nés après la réforme, cette majoration sera accordée par défaut à la mère (adoptive ou biologique) en cas de silence des deux parents. En revanche, elle pourra être répartie au sein du couple d’un commun accord. La volonté de partager cette majoration devra être signifiée à la caisse d’assurance vieillesse dans un délai de 6 mois AVANT les 4 ans de l’enfant ou la 4ème année suivant l’adoption.
Concrètement, les parents qui se manifesteront pourront soit attribuer ces 4 trimestres à l’un d’entre eux, soit les répartir entre eux (2/2, 3/1).
En cas de désaccord exprimé par l’un ou l’autre des parents dans ce délai, la majoration est attribué par la caisse d’assurance vieillesse à celui des parents qui établit avoir assumé à titre principal l’éducation de l’enfant pendant la période la plus longue. A défaut, la majoration est partagée par moitié entre les deux parents.
Comme le résume la CNAV :
- La mère bénéficie des majorations « maternité » et « éducation » ou « adoption » et « éducation ».
- Les parents peuvent choisir le bénéficiaire des majorations « éducation » et « adoption » ou décider de se les répartir.
- En cas de désaccord, la majoration « éducation » est attribuée à celui qui a contribué à titre principal à l’éducation de l’enfant pendant la période la plus longue. A défaut, elle est partagée par moitié entre les deux parents.
La majoration « adoption » est attribuée à celui qui a assumé à titre principal l’accueil et les démarches d’adoption. A défaut elle est partagée par moitié entre les parents.
Et comme ça, c’est plus clair ? (^_^)
Des choix de société
A mon sens, l’évolution du système était nécessaire. Nous étions arrivé en bout de course.
A l’époque de la rédaction des articles D351-1-7 et D354 du code de la sécurité sociale, qui imaginait que contrairement au rôle qui leurs étaient dévolus, des papas feraient le choix de leur famille plutôt que de leur carrière ? Rarissimes hier, ils sont de plus en plus nombreux à s’investir de façon conséquente dans l’éducation de leurs enfants aujourd’hui. Les crises économiques, les dérégulations du marché du travail les poussent de plus en plus à se détourner des entreprises où ils sont une variable d’ajustement pour privilégier leur famille.
Certes, les féministes et associations de mères de famille ont raison de pointer que la répartition des tâches domestiques se fait au détriment des femmes en grande partie et que les discriminations hommes/femmes sont toujours criantes sur le marché du travail.
Mais à mon sens, si l’on veut que ça change, il convient de travailler sur nos représentations hommes/femmes. Et reconnaître dans la loi que les hommes aussi peuvent choisir leur famille à leur carrière tout comme les femmes en fait justement partie.
Car si demain on considère que l’éducation des enfants est autant affaire de papa que de maman, alors les femmes ne seront plus les seules à qui l’employeur demandera « mais qui va s’occuper des enfants en votre absence ? »
C’est pourquoi je regrette vivement les réactions « à fleur de peau » de ces associations de mères et de féministes qui ont souvent tiré à boulet rouge sur toute idée de réforme du système ainsi que sur les pères qui ont voulu faire valoir leur droit. Plutôt que de traiter ces papas en ennemis ou comme quantité négligeable, comme des exceptions qui confirment la règle, mieux valait à mon sens mettre l’accent là-dessus pour casser les codes et dénoncer d’autant plus vivement les discriminations existantes sur le marché du travail.
Par ailleurs, je regrette vivement le peu de publicité de cette disposition législative ainsi que les délais d’action extrêmement courts pour les papas d’enfants nés avant la réforme concernés par la majoration d’éducation. Combien, qui ont élevé seul leurs enfants, auront l’information à temps et pourront faire les démarches avant le 28 décembre 2010 ??!
Alors vous savez quoi faire : faites passer l’info au plus grand nombre !!!