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Billet de blog 6 juin 2011

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Considérations sur le mystère masculin et sur la construction de l'identité masculine

[Il fut une époque où, sur Médiapart, on devisait courtoisement et en toute « zénitude » de l’existence du mystère féminin et masculin. Aujourd’hui, avec « l’Affaire DSK », nous voici sommés – pas forcément très courtoisement ni sereinement d’ailleurs – de choisir son camp : pro « DSK » VS pro « Victime(s) ». Pour moi, la relecture récente de ce billet du 16 avril 2009 résonne particulièrement dans ce contexte tendu. C’est pourquoi je vous invite à le (re)découvrir. J’ai retravaillé la mise en page et ajouté quelques nouveaux commentaires indiqués en [gras entre crochets]. En espérant vous satisfaire…]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

[Il fut une époque où, sur Médiapart, on devisait courtoisement et en toute « zénitude » de l’existence du mystère féminin et masculin. Aujourd’hui, avec « l’Affaire DSK », nous voici sommés – pas forcément très courtoisement ni sereinement d’ailleurs – de choisir son camp : pro « DSK » VS pro « Victime(s) ». Pour moi, la relecture récente de ce billet du 16 avril 2009 résonne particulièrement dans ce contexte tendu. C’est pourquoi je vous invite à le (re)découvrir. J’ai retravaillé la mise en page et ajouté quelques nouveaux commentaires indiqués en [gras entre crochets]. En espérant vous satisfaire…]

Voilà quelques jours de ça, je suis tombée par hasard sur le billet d'Art Monika qui posait la question suivante : Que veulent les femmes ? Existe-t-il un mystère féminin ? [ Impossible d’y remettre la main dessus à mon grand désespoir. Chère Art Monika, si tu me lis… ] Elle expliquait « Les hommes m’apparaissent comme des autres, si semblables à moi. Pourquoi et comment puis-je apparaître à certains d’entre eux comme une personne étrange, une étrangère ? » Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire en commentaire de son billet, je partage complètement cette interrogation. Aussi, j'ai décidé de passer de l'autre côté du miroir pour essayer de comprendre.

Comment devient-on un homme ? Existe-t-il un mystère masculin au même titre que le mystère féminin ?

Où sont les hommes ?

Je me suis donc précipitée dans ma librairie favorite pour essayer de dénicher un peu de littérature sur la question : comment devient-on un homme ? Etrangement – je n'ai pas trouvé beaucoup de livres sur la question. Des polémiques sur la nature de la femme, son statut dans la société, sa construction et son devenir, ça oui ! J'en profite donc pour vous confirmer que la nature du « mystère féminin » se porte plutôt bien, qu'il semble inspirer un grand nombre de chercheurs en sciences sociales et faire vendre beaucoup d'ouvrages.

Mais sur les hommes ? Silence radio ! J'ai finalement réussi à dénicher un livre que je me suis empressée d'acheter et de dévorer une fois arrivée chez moi. Je l'ai trouvé intéressant et je vais essayer de vous en donner un aperçu dans ce qui suit. Je vais tâcher autant que possible de ne pas dénaturer ses propos (bien que l'exercice de « rapporter » le contenu d'un livre soit difficile). Par avance je vous invite à le lire pour vous faire vous-même une idée précise de ses propos.
Avant toute chose, il s'agit du livre « nous, les mecs – essai sur le trouble actuel des hommes » de Daniel WELZER-LANG aux éditions Payot. Pour situer un peu l'auteur, il s'agit d'un sociologue français, professeur à l'université de Toulouse et qui a notamment travaillé sur le sujet des hommes violents (il a d'ailleurs cofondé un centre pour hommes violents à Lyon en 1987). Voilà pour notre bonhomme !

Maintenant, son oeuvre (^_^) :

L'auteur a écrit ce livre pour clore, avec les femmes, le chapitre de la domination masculine. Il situe sa réflexion dans la France contemporaine qui s'étend également aux homosexuels et transexuels mais pour des raisons de synthèses, j'en resterai aux rapports hommes/femmes. Sachez simplement que son propos est plus vaste. D'emblée, il confirme mon impression de désarrois dans la librairie et affirme : les hommes parlent peu d'eux-mêmes. Oh, certes ! Ils parlent ! Mais autant que possible, ils évitent l'épineux problème de leur identité (ou de la construction de celle-ci).Deux raisons à cela :1°) D'abord, parce que lorsqu'on est un homme, ça ne se fait pas ! C'est les femmes qui parlent d'elles-mêmes, pas les hommes ! Ça a son importance et nous y reviendrons plus tard.

2°) Ensuite, en raison d'une tendance très nette de notre société – selon lui – à la victimisation / moralisation / judiciarisation de notre espace public qui empêche tout débat sérieux et ne laisse la place qu'aux positions outrancières. Qu'entend-il exactement par là ?

Pour lui, c'est un fait entendu, l'homme détient bien la place dominante dans notre société française du XXème et début du XXIème siècle : il continue de détenir le pouvoir économique, truste les meilleures places dans les entreprises, la société est taillée sur les valeurs qu'il s'est auto-attribuées telles que la compétition, la violence, ou la "valeur travail" ( si, si ! la valeur travail, c'est un truc de mec, vous le verrez par la suite )...

Dans cette situation de domination des femmes par les hommes, les seconds en retirent des privilèges et les premières, des compensations (l'auteur parle de bénéfices secondaires). C'est ce qui rend le système tenable sur le long terme (chacun y trouve son compte en quelques sortes, ce qui évite les remises en cause). Mais la médaille à son revers : l'oppression des femmes – les dominées – et l'aliénation des hommes – les dominants.

Aujourd'hui, selon l'auteur, nous vivons dans une époque de moralisme et de victimologie (pas que dans le rapport homme/femme d'ailleurs, mais aujourd'hui, c'est celui-ci qui nous intéresse). S'il est entendu que les hommes ont le pouvoir, le moralisme (qui a remplacé l'analyse) désigne ceux qui ont le pouvoir comme les mauvais, les « salops » ! Et celles qui en sont privées comme victimes, innocentes, bonnes par nature et ayant toujours raison.

Cette équation un peu perverse rassure les femmes. En tant que victimes, elles sont forcément dans leur bon droit, elles ont l'attention de la société. Mais l'équation les enferme également dans le rôle de la victime, de celle qui subit, de l'éternelle dominée en quelque sorte.Bref, on aura compris, si chacun trouve son compte dans la situation, celle-ci perdure et empêche tout dialogue constructif d'intervenir. Car comment dialoguer lorsque l'une des parties est intimement convaincue qu'on va la berner ou lui faire du mal ? Pour l'auteur, la victimologie induit la colère, voire la haine des femmes pour leur compagnon si décevant et par-delà lui, pour tous les hommes. Il faut donc remplacer le moralisme et la victimologie par l'analyse.On comprend donc que dans ce contexte, toute parole masculine est toujours un peu suspecte. Parler, dire, expliquer, représente un danger qu'il va falloir surmonter pour faire avancer les débats.
Dessine moi un mouton - pardon - un garçon
Maintenant, venons-en au « gros morceau », celui de la construction identitaire que les hommes ont en héritage de la société patriarcale et qui bouge fortement ces temps-ci.L'intitulé de son chapitre II nous donne tout de suite le ton: « être mec... et le prouver sans cesse ». Le prouver à qui ? Aux autres hommes bien sûr. A ses pairs.Dans notre société (comme dans d'innombrables autres d'ailleurs), l'homme est à la fois initié et initiateur au culte de la virilité. Ce mécanisme d'initiation, l'auteur l'appelle « la maison-des-hommes ». Alors comment cela fonctionne ?Le culte de la virilité s'apprend entres hommes/garçons. Dans les espaces (de plus en plus limités ces temps-ci) où – culturellement- les hommes/garçons se retrouvent entres-eux : clubs de sport, cours de récrée, bandes de copains, et plus tard, lieux de travail... Selon l'auteur, la violence détient une place centrale dans l'acquisition de cette virilité. Les jeux sont rudes, les coups pleuvent souvent. Coups qu'il faut encaisser avec désinvolture ( « même pas mal ! » ) et qu'il faut rendre, plus fort si possible. Car l'enjeu est de taille : être reconnu comme un homme. Et qui échoue ou refuse de rentrer dans le jeu n'est pas un homme. C'est une gonzesse, une tafiole. L'homme doit sans cesse prouver qu'il est un homme... et pas une femme. C'est là, selon l'auteur, la matrice de la hiérarchisation des sexes. Les joutes entre garçons ont pour but de prouver la virilité et se fait par dévalorisation du féminin. Le féminin est l'ennemie intérieure à combattre.

Que se passe-t-il lorsqu'un garçon ne veut/peut pas « jouer le jeu » ?

Le garçon qui refuse de donner des signes flagrants et répétitifs de virilité sera traité comme un non-homme et assimilé aux femmes. Et souvent, rejeté violemment du groupe de copains. Les conséquences sociales sont donc importantes car pour être accepté, il s'agit de se distinguer des femmes. Ou plutôt de ce qu'elles sont sensées faire, vivre, être, paraître, etc. Ne pas pleurer, ne pas se plaindre, ne pas parler de soi-même ( c'est un truc de bonne-femme ça ! ), être insensible mais protéger la veuve et l'orphelin ( syndrome du héros en quelque sorte ). La virilité sera également souvent associée à : la prise de risques, aux conduites dangereuses, à l'agressivité, au déballage de force, à l'alcoolisme, aux violences...

Autre composante de l'apprentissage de la virilité : la compétition sous toutes ses formes. Car, selon l'auteur, dans cette maison-des-hommes, il faut être le meilleur, le plus performant. Etre le plus fort, parfois à l'école (mais c'est rare car l'école est un monde dominé par les femmes qui perd donc très vite de son intérêt). Plus souvent en sport ou aux jeux vidéos. Les hommes apprennent à révérer la performance car elle est un moyen de dépasser les autres, d'être plus viril qu'eux. C'est à celui qui sera le meilleur. Dans cette course à la performance, beaucoup d'appelés mais naturellement peu d'élus. Les plus forts deviennent symboliquement des « chefs », jalousés et admirés.

Plus tard, ce sont ces valeurs qui investiront le monde du travail, un monde longtemps chasse-gardé de l'homme. Dans ces conditions où la femme est – en quelque sorte – la représentation même de la faiblesse, difficile d'avaler qu'elle puisse vouloir la place de chef.

[ Haha ! la question de la compétition est paradoxale à mon sens car autant on pense couramment que le goût et la pratique de la compétition sont typiquement des attributs masculins, autant je pense que la féminité (entendons par là l’ensemble des attributs culturels qu’on inculque aux filles dés le berceau) s’acquiert elle aussi en large partie par la compétition. On s’épie beaucoup entre femmes, on se compare, on se juge, on se classe : qui est la plus belle ? Qui a la maison la mieux tenue ? Les enfants les plus réussis ? Qui vieillie le mieux, a le moins de rides ? C’est marrant le nombre de femmes qui affirment (sincèrement et moi la première) détester la compétition sous toutes ses formes alors que nous la pratiquons de façon tout aussi intensive entre nous que les hommes entre eux. Simplement le champ des valeurs sur lequel s’applique cette compétition est différent. ]
A man world

Troisième volet de l'acquisition de la virilité, ce que l'auteur appelle « la totémisation de la différence des sexes » où l'accent est mis sur la différence des sexes, la différence entre hommes et femmes. L'établissement de normes centrées sur ce que l'autre est supposé/réputé ne pas avoir. Il y a les organes génitaux bien sûr (avoir « des couilles » ou ne pas en avoir), il y a les poils également. Plus un homme est poilu, plus il est supposé viril et inversement. Une femme féminine, c'est une femme sans poils. L'auteur prend soin de bien préciser que cette division stricte varie énormément d'un pays à l'autre, d'une culture à l'autre.

[ Cette partie me rappelle les difficultés rencontrées par les sportives de haut niveau : si elles tapent plus forts, vont plus vite et se rapprochent des performances de leurs homologues masculins, il y a systématiquement des petits malins ET des petites malines pour sous entendre qu’elles jouent « comme des hommes », que d’ailleurs elles font un peu « hommasses », que – qui sait ? – elles sont peut être lesbiennes voire qu’elles trichent et prennent des dopants. Ainsi disqualifiées, elles ne sont plus des femmes (ce qui décrédibilise leurs victoires contre leurs consœurs) mais n’ont toujours pas la reconnaissance des hommes (parce qu’elles SONT des femmes). A lire sur la question ce plutôt bon article de Slate.fr. ]

Quatrième volet, la hiérarchisation de la virilité. Car bien entendu, tous les hommes ne sont pas semblables et surtout pas égaux.

On l'aura compris, tout en bas de l'échelle se situent les femmes et les homosexuels. Même si les femmes concurrencent aujourd'hui les hommes dans tous les domaines, ceux-ci ont mis en place une défense imparable : les juger, les évaluer sur leurs critères physiques et leur capital érotique et occulter complètement le reste. Bref, les assimilés à de belles plantes en quelque sorte et surtout les réduire à une sorte « d'état de nature ».En revanche, les hommes sont hiérarchisés par leur « faire », leur production. Ils évoluent dans un système de compétition permanente où les plus forts obtiennent des privilèges et des marques de leur supériorité : maisons, ordinateurs, rolex, voitures... et belles femmes. Parce que la femme est non seulement hors compétition mais elle est surtout un signe symbolique, une récompense des luttes de virilité selon l'auteur (et selon Bourdieu aussi).

Cinquième et dernier volet : L'amour du travail et de l'oeuvre.

Le travail extérieur est un haut lieu d'exercice de la virilité, le lieu symbole de la réalisation de soi, du surpassement de soi. C'est aussi un espace de liberté, un jardin secret que l'homme essai de tenir loin de sa sphère privée. La conséquence logique de cette division est que le privé, le domestique, passe après le travail.

[Travaux pratiques à lire ici :

Mesdames et Messieurs de l’éducation nationale, chèr(e )s publicistes : encore un effort !] Donc, l'homme est silencieux. Enfin, lorsqu'il s'agit de réellement parler de lui car sinon, il parle beaucoup. De quoi parle-t-il selon le sociologue ? De ce qu'il appelle « les médailles de virilité » : voitures, motos, machines diverses, football, rugby... et femmes bien sûr. Ces femmes qu'il place symboliquement dans le rêve, la parole, la sensibilité, le laisser-aller et jamais dans l'action, le contrôle ou le concret. Ces femmes qu'il lie inconsciemment à la nature, à l'état originel, à l'animalité quand lui investit la sphère de l'humain et de l'intellect.Au vu de l'analyse de Daniel WELZER-LANG, je comprends mieux comment peut apparaître la notion de « mystère féminin » : composé de tous les attributs que l'homme patriarcale refuse de voir chez lui, il participe à marquer toujours davantage la différence entre l'homme et la femme.

Mais existe-t-il un « mystère masculin » ? Au risque de surprendre, je dirais oui, mais pas là où on l'attend. Le vrai mystère, c'est ce que l'homme va décider de devenir maintenant qu'il remet de plus en plus en cause son héritage patriarcale, sa relation dominant/dominée aliénante avec les femmes. Que va-t-il garder ? Quels attributs va-t-il accepter de partager avec les femmes ? Que va-t-il abandonner dans la construction de son identité ? Quels champs, jusque là cantonnés aux femmes, va-t-il investir ? Des temps passionnants en perspective !

[ Pour compléter cette conclusion, je rajouterai : et que sommes-nous prêtes – nous, femmes – à partager avec nos compagnons. Quelles « compensations » ou « bénéfices secondaires » sommes nous prêtes à perdre pour faire enfin tomber les « privilèges » masculins ?

Je renvoie à l’excellent article du Causette de ce mois-ci « Où sont les hommes ? ». Même les hommes les plus convaincus par le féminisme ont toujours la tentation de revenir à « leurs mauvaises habitudes » car c’est souvent plus facile, plus confortable, que la remise en question et le repositionnement constants d’eux-mêmes.

Toutefois, comme ces messieurs le pointent avec justesse et à propos dans l’article, nous autres les femmes ne sommes pas plus confortables avec le féminisme et nous devons affronter nos propres contradictions : Vouloir l’égalité professionnelle, oui ! Reconnaître la compétence des hommes en matière d’enfants et de foyer, aussi ! Aujourd’hui les hommes ne s’occupent pas beaucoup du ménage et des enfants, c’est entendu. Mais combien de fois ne discrédite-t-on pas toutes tentatives de leur part d’une petite phrase cinglante « t’as habillé ta fille comme un as de pique ! », « c’est ça que t’appelle faire les sols ? », « pourquoi t’as plié le linge comme ça ? », « le mardi c’est épinard, pas steak-frites ! », et j’en passe… Il faudra aussi faire le deuil du monopole des « belles valeurs », regarder les défauts de nos compagnons et admettre qu’ils sont nôtres. Nous n’avons pas le monopole de la douceur et ni eux, de la brutalité. De même, et pour faire le lien avec l’Affaire DSK (avec un grand A), dans « le viol d’une femme de chambre », ce qui est choquant, c’est le viol. Que la victime soit une femme n’est en rien une circonstance aggravante, à moins que de prétendre ici que la femme – au même titre que l’enfant – est par nature plus faible que l’homme à tout point de vue : physique, mental, moral, etc. Le « viol d’un groom » aurait été tout aussi grave et choquant… mais pas sûre qu’il y aurait eu autant de gens pour s’indigner des inévitables bôferies et blagues salaces que ça n’aurait pas manqué de provoquer.

Enfin, pour aller plus loin sur la question de la construction de l’identité masculine, je vous recommande également « XY, de l’identité masculine » d’Elisabeth Badinter. ]

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