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Billet de blog 10 janvier 2025

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Sarkozy - Khadafi : dans l’ombre du procès, jour 2

Le deuxième jour d'audience était consacré aux nullités de procédure soulevées par les différents avocats. Jeudi, le tribunal a décidé de joindre les différents incidents au fond.

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Deuxième jour. Les avocats des prévenus défilent pour soutenir leurs conclusions visant à obtenir "l'annulation" de l'ordonnance de renvoi émise par les juges d'instruction Aude Buresi et Virginie Tilmont en août 2023.

L'ordre du jour est donc principalement consacré à des débats de pur droit. L'une des questions centrales porte sur la régularité de l'ajout d'une période de prévention plus importante sur l'ordonnance saisissant le tribunal que celle visée dans la mise en examen de plusieurs prévenus.

Pour mémoire, les prévenus ne sont pas tous présents à l'audience. Ils sont représentés par un avocat à l'exception de l'intermédiaire Ziad Takieddine.

8 janvier 2025.

Les journalistes et le public se font moins nombreux en cette deuxième journée. Malgré un léger imbroglio organisationnel, la salle d'audience reste accessible aux personnes souhaitant assister à ce procès hors normes. Comme lundi, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Claude Guéant et Éric Woerth sont placés côte à côte sur des strapontins.

13h30. L'audience reprend sous un ciel pluvieux en ce début d'après-midi.

Maître Kaminski, conseil de Khalid Bugshan, s'avance à la barre. Il plaide la prescription des faits reprochés à son client - qui se sont déroulés entre 2008 et 2010 - affirmant que les règles applicables au recul du point de départ (en cas d'infraction dissimulée ou occulte) ne s'appliquent pas dans son cas. 

Il soutient que le virement reproché à Khalid Busghan a été réalisé de façon légale : l'opération a été réalisée avec l'argent personnel de son client, depuis son compte personnel, vers son avocat personnel (Sivajothi Rajendram, également renvoyé dans cette affaire). Selon lui la transaction n'a pas été dissimulée et s'inscrit dans le cours normal des affaires du businessman saoudien.

Il conteste aussi la compétence du tribunal, les faits reprochés n'ayant pas été commis en France. En outre, il demande la nullité de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC). Il estime que l'acte de saisine du tribunal contient des irrégularités.

Les irrégularités de l'ORTC

Maître Kaminski fustige l'ajout d'une année supplémentaire aux infractions reprochées : « Le juge a pris la liberté contra legem d'ajouter une année supplémentaire ! ». Il critique également la durée excessive de l'instruction (étendue sur 10 ans) et l'absence de traduction de l'ORTC en arabe pour son client.

Le second conseil de Khalid Bugshan prend la parole. Il dénonce une atteinte à la présomption d'innocence en raison des termes employés par les juges d'instruction dans l'ORTC, qui n'useraient pas assez du conditionnel dans la qualification des charges reprochées à son client. Il rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme sur ce point.

Le Parquet national financier (PNF) répond que Khalid Bugshan était en fuite et que l'absence de notification de l'ORTC en Arabie Saoudite est imputable à ce contexte, d'autant qu'elle a été dûment notifiée à ses avocats. Quant à la présomption d'innocence, le PNF estime que les termes employés sont conformes aux jurisprudences mentionnées.

Maître Kaminski, manifestement contrarié, répond aux observations du PNF : « Ne dites pas qu'on ne respecte pas les dispositions pénales avec un pouvoir de représentation, ce n'est pas vrai ! »

L’accusation, interloquée, rétorque : « Je n'ai jamais dit ça, Maître ! ».

« Mais si ! » s'exclame l'avocat. La présidente intervient pour calmer les échanges.

Un ténor à la barre

Jean-Yves Le Borgne, avocat d'Éric Woerth, prend ensuite la parole. Avocat depuis près de cinquante ans, il défend son client accusé de complicité de financement illicite de campagne.

L'accusation porte sur la remise de primes en espèces à des salariés de l'Association de financement de campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS), sans déclaration. Eric Woerth reconnait les remises à hauteur de 30 000 euros.

De sa voix puissante, Maître Le Borgne plaide l'annulation de l'ORTC, estimant que les juges d'instruction n'étaient pas saisis des faits reprochés à Éric Woerth et que ces faits sont prescrits. Il conteste que l'infraction puisse être qualifiée d'occulte, arguant que les primes étaient connues des bénéficiaires et que la prescription commence à courir à partir de la date de leur remise.

Il critique également ce qu'il qualifie d'extrapolations des magistrats instructeurs, en reprenant un terme utilisé dans l'ORTC. Les juges ont réévalué les montants remis - passant de 30 000 à 250 000 euros - en s'appuyant sur une note rédigée par un assistant spécialisé du parquet. « Comment, dans notre pays, un juge peut-il être saisi par extrapolation ? » conclut-il.

Le PNF répond que le réquisitoire supplétif visant Nicolas Sarkozy inclut bien l'infraction de financement illicite de campagne : les juges d'instruction étaient donc bien saisis des faits au moment de la mise en examen d'Eric Woerth. Le procureur souligne que les arguments soulevés par Maître Le Borgne ont déjà été jugés par la chambre de l'instruction. Il demande que ces questions soient jointes au fond, c’est-à-dire tranchées à la fin du procès.

L'extension de la période de prévention

16h55. Maître Benjamin Bohbot, avocat de Wahib Nacer, prend à son tour la parole. Son client est accusé d’avoir facilité le détournement de fonds reproché à Bechir Saleh en opérant diverses opérations bancaires de dissimulation.

Comme Maître Kaminski, il demande le renvoi de l'ORTC en raison de l'ajout d'une année aux préventions retenues contre son client. Il argue que cette pratique est contraire au droit et cite une jurisprudence récente de la Cour de cassation. Si son client a été entendu pour certains faits reprochés sur cette période, d'autres — comme un voyage aux Maldives prétendument payé avec les fonds détournés — n'ont pas fait l'objet de questions durant l’enquête.

Le PNF soutient que cet ajout n'est pas irrégulier, puisque Wahib Nacer a bien été interrogé sur les faits liés à cette année supplémentaire. Maître Bohbot insiste : « Vous ne m’avez pas répondu sur les Maldives. Corrigez-moi si je me trompe.» Le PNF reste silencieux.

Deux lectures juridiques s'affrontent alors : les conseils d'Alexandre Djouhri et d'Ahmed Bugshan vont également plaider pour leurs clients en reprenant l'argumentation développée par Maître Bohbot et l'interprétation de la jurisprudence sur laquelle il s'appuie. Après plus de deux heures d'échanges entre le parquet et les différents avocats mentionnés, une conclusion s'impose : c'est un véritable débat contradictoire - ou "dialogue de sourds" pour reprendre l'expression de l'un des avocats - qui s'est déroulé entre le PNF et la défense.

La question posée pourrait avoir de lourdes conséquences sur la tenue du procès si le tribunal décidait dès demain de renvoyer l'ORTC au ministère public. Il faudrait saisir à nouveau un juge d'instruction pour régulariser l'ordonnance.... Ce qui n'est pas un détail compte tenu de l'organisation du procès et de l'importante couverture médiatique dont il bénéficie.

Fin de journée

L’avocat de Bechir Saleh conclut cette journée en plaidant contre le cumul de qualifications pénales pour un même fait, un argument déjà soulevé par Maître Kaminski à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité. 

19h. Le tribunal annonce qu'il rendra sa décision jeudi 9 janvier à 13h30 pour les questions soulevées au cours de ces deux premiers jours de procès. 

L’audience est suspendue.

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