Toulouse restera à droite : quelles leçons en tirer pour les forces de gauche toulousaines
Jean-Luc Moudenc, maire LR et proche de Macron, a été réélu à 51,98 % face à Antoine Maurice, EELV, tête de liste du mouvement Archipel Citoyen regroupant des citoyennes et citoyens et des partis politiques dits de gauche, de la FI au groupe socialiste TIN créé par Romain Cujives.
Toulouse était-elle prête pour donner la ville aux « pastèques », l'alliance vert-rouge qui arborait un drapeau violet pour représenter les citoyens ?
Les résultats des élections municipales partout en France ont montré que la vague verte a eu un réel effet, notamment dans des grandes villes comme Lyon, Bordeaux ou Marseille et dans plusieurs villes moyennes comme Strasbourg, Tours.
A y regarder de plus près, on s'aperçoit que pour Lyon, Bordeaux et Marseille, les habitantes et habitants ont voulu surtout en finir avec des années de droite ultralibérale, qui a embourgeoisé le centre-ville, a facilité la corruption et le clientélisme, et qui s'est montrée proche des gouvernements de droite, en y participant notamment.
A Toulouse, Moudenc pourra continuer ce processus de gentrification, d'ultralibéralisme et de clientélisme qui a des effets néfastes considérables parmi une certaine population mais n'est pas ressenti partout et par tous et toutes.
Toulouse est encore protégée et ne ressent pas autant l'urgence démocratique et écologique qu’elle le devrait. La pollution y est forte mais encore supportable, grâce au « vent d'autan » qui ravit Moudenc. Les salariés d'Airbus peuvent prendre le vélo ou le tramway, les loyers explosent mais l'accession à la propriété est encore possible pour la classe moyenne supérieure dans les quartiers périphériques.
Ainsi, la rhétorique « rassurante » du maire « qui protège » lui a permis d’occulter la gravité de la dégradation inéluctable des conditions de vie dans la ville. Les habitantes et habitants ont pu se croire encore préservés et n’ont pas appréhendé l’urgence à changer radicalement de logiciel politique, comme d’autres grandes métropoles l’ont compris.
Moudenc a su activer et mobiliser de puissants réseaux conservateurs pour faire barrage au changement pourtant indispensable face aux défis écologiques et sociaux .
Archipel Citoyen n’a malheureusement pas encore réussi à suffisamment capitaliser sur ces constats. Le basculement d’une ville à gauche n'est jamais inéluctable. « Toulouse se prend au centre » dit-on, même si la ville est à gauche !
Dans six ans, la tâche qui incombera à la gauche sociale et écologique sera d’autant plus grande.
Avec la construction de la Tour Matabiau, la destruction du quartier populaire autour de la gare, l'arrivée hypothétique de la LGV, les licenciements massifs au sein d'Airbus et des sous-traitants, l'embourgeoisement accéléré du centre-ville, l'installation des nouvelles caméras de vidéosurveillance à reconnaissance faciale, l'arrivée de la 5G, l'armement par tasers des policiers municipaux, la multiplication des arrêtés anti-bivouac ou anti-prostitution, la baisse des subventions données aux associations de terrain et les difficultés pour obtenir des locaux pour les acteurs et actrices de terrain, ... ne viendront qu’amplifier la nécessité absolue de la gauche à changer le destin des habitantes et habitants en reprenant la mairie à la prochaine échéance.
La victoire à portée de mains dimanche 28 juin a montré qu'il était possible de gagner à Toulouse, en alliant les forces de gauche, les verts, les citoyens. Mais le projet politique et la stratégie adoptée ont échoué à convaincre les toulousaines et toulousains. Ils n'ont pas été voter malgré l'énorme enjeu pour la ville qui était déjà au bord de l'asphyxie démocratique, écologique et social.
Cet échec peut aussi être analysé sous un autre prisme.
La victoire de la droite à Toulouse est aussi l'échec de la gauche qui n'a pas su rassembler, l'échec de la gauche qui n'a pas su parler aux quartiers populaires.
Alors que Moudenc a réussi à rassembler et mobiliser ses troupes, la gauche n'a été à l’offensive suffisamment tôt .
Pierre Cohen, PS, qui avait gagné en 2014 avait réuni 67 869 voix, soit 16 000 votes de plus que les 51 564 voix obtenues par Archipel Citoyen mené par Antoine Maurice.
Archipel Citoyen s'est présenté et a joué la carte de l'unité à gauche, rassemblant pas moins de 16 partis politiques, invisibilisant les citoyennes et les citoyens, les tirées au sort de la liste et l'originalité du processus.
La campagne post-confinement a mis en avant les anciens apparatchiks des partis traditionnels et les membres de la liste de fusion UNE menée par Nadia Pellefigue qui sont restés et n'ont pas suivi celle qui a claqué la porte, vexée de ne pas avoir obtenu la présidence de la Métropole.
Nadia Pellefigue ou pas, une large partie de l'électorat PS a fini par voter pour la liste Archipel et l'autre partie n'aurait pas voté à gauche quoi qu'il arrive, se sentant plus proche du projet politique de Moudenc, Macron-compatible. C'est le cas de Lacroix et de certains colistiers de Pellefigue.
Archipel a pourtant misé sur la dynamique PS pour rassembler le plus de voix, s'appuyant sur un parti qui est divisé et n'a pas joué le jeu, en mobilisant ses troupes. Nadia Pellefigue n'a pas appelé à voter Antoine Maurice et Carole Delga a très difficilement déclaré qu'Antoine Maurice était un bon partenaire et qu'elle travaillerait main dans la main avec lui.
Pire encore, la direction de campagne a été confiée en grande partie à Cujives. Notable de centre-ville, qui a tout misé sur ce qu’il sait faire : faire campagne auprès de son électorat bourgeois. Cette machine à perdre avait déjà fait perdre Cohen en 2014. Son équipe a grandement participé à la campagne lisse et consensuelle de l’entre-deux-tour préférant mettre en avant la politique des transports et l’aéronautique plutôt que de parler du racisme systémique en plein #BlackLivesMatter.
Les quartiers populaires n'ont donc pas voté à Toulouse et ne se sont pas mobilisés. Ils ne se sont pas reconnus dans ce mouvement et n'y ont pas trouvé des figures pouvant incarner ou défendre leurs intérêts.
Les quartiers populaires ont vu, dans le tweet d'Antoine Maurice sur les forces de l'ordre en pleines émeutes des banlieues suite à la mort d'un jeune à Villeneuve-la-Garenne, pendant le confinement, une trahison. L'absence d'Archipel aux manifestations antiracisme et le silence sur les violences policières ont laissé planer le doute sur la position du mouvement sur ces sujets sensibles mais importants et au cœur du débat démocratique. La jeunesse, très mobilisée par ces sujets et qui a massivement participé aux rassemblements anti-racistes, n'a pas été entendue et soutenue localement.
Les gilets jaunes qui suivaient de près la campagne, en raison de l'originalité du mouvement archipel, basé sur l'éducation populaire et les méthodes de la sociocratie, proposant le RIC local et la création d'assemblées citoyennes décisionnaires, se sont sentis eux aussi trahis par l'ambiguïté de la communication d'Archipel sur les manifestations des gilets jaunes et la présence d'Antoine Maurice aux cotés de Carole Delga quelques jours avant le vote, alors que cette dernière prenait position aux côtés de Jean-Luc Moudenc pour demander à l'Etat des pouvoirs supplémentaires afin d'interdire les manifestations des gilets jaunes au-delà de la fin d'état d'urgence.
Moudenc l’a très vite compris et s'est emparé de ces divisions pour surfer sur la vague sécuritaire et mener une campagne de caniveau, jouant sur la peur l’irrationnel, l'amalgame, et utilisant tous les leviers de communication, via les réseaux, par la presse et par l'envoi massif de courriers diffamatoires aux toulousaines et toulousains.
Le silence assourdissant d'Archipel sur tous ces sujets a contribué à la démobilisation parmi l'électorat populaire et la jeunesse.
Un énorme gâchis et un échec complet pour la France Insoumise toulousaine, bastion de Manuel Bompard.
Jean-Luc Mélenchon et le programme l'avenir en commun ont eu un fort retentissement politique à Toulouse. Les résultats aux élections présidentielles à Toulouse sont sans appel. Des bureaux entiers dans les quartiers populaires ont voté à plus de 60% pour le chef de file de la France Insoumise. Des groupes d'action se sont montés en quelques mois partout dans la ville rose.
Une dynamique populaire et forte s'est créée, grâce à la dynamique nationale et à la force de conviction de Mélenchon, entouré d'une équipe de jeunes militants et militantes, et de femmes, dont Charlotte Girard qui a coordonné l'élaboration du programme pendant toute une année avant les élections.
Les élections législatives ont démontré qu'il était possible de l'emporter à Toulouse, en s'appuyant sur l'électorat populaire et les forces militantes.
Malgré l'échec à pouvoir obtenir un député en Haute-Garonne, les candidates et candidats France Insoumise sont arrivés en tête dans 4 circonscriptions, en ne prenant que les résultats sur la ville de Toulouse. Le découpage des circonscriptions favorisant l'électorat traditionnel et conservateur, les députés En Marche l'ont emporté à quelques voix près. « Même une chèvre pouvait gagner » constatait-on à cette époque.
Force de cette dynamique, la France Insoumise avait de l'or dans les mains. Continuer le travail de terrain et l'ancrage dans les quartiers populaires, auraient pu permettre de faire la différence deux ans après. Porter et promouvoir un vrai projet municipaliste aurait pu permettre au mouvement de faire de la quatrième ville de France un laboratoire d’expérimentation du programme l’Avenir en Commun et ainsi renforcer localement l’assise du mouvement .
Ce n'est pas le choix qui a été fait par le mouvement, préférant miser sur les élections européennes et nationales. La lettre ouverte signée par plusieurs militantes et militants, dont Charlotte Girard au lendemain des européennes a bien résumé le tournant malheureux pris par le mouvement.
Localement, les militantes et militants ont déserté les groupes d'action, après avoir fait campagne comme des bons petits soldats et voyant que le « gazeux » du mouvement cachait en réalité une forte verticalité.
Les municipales n'intéressent pas la France Insoumise.
Le mouvement est une machine de guerre au service de l'élection présidentielle. La participation de la France Insoumise au mouvement Archipel a permis au mouvement de profiter de manière conjoncturelle de la dynamique locale, de marquer sa présence et de placer ses pions pour 2022. Deux représentantes de la France Insoumise seront élues au conseil municipal dans l'opposition et pourront ainsi préparer les élections présidentielles et législatives avec une onction démocratique et une légitimité. Des élus « citoyens » proches de la France Insoumise pourront aussi travailler en ce sens et se présenter dans les circonscriptions après un travail de terrain muni de leur casquette d'élus.
Cette stratégie constitue un formidable gâchis pour le projet politique local. Six ans de plus d’une gestion déconnectée des enjeux cruciaux de la période aura pour conséquence que Toulouse accusera un retard dramatique pour ses habitantes et habitants qui continueront à pâtir de la dégradation des conditions de vie écologiques et sociales.
Les calculs politiciens de Manuel Bompard, député européen, pour placer des pions insoumis dans toutes les strates des institutions, afin de remporter les élections nationales, ont pour l'instant largement échoué. Et les militantes et militants sont partis. Les groupes insoumis sont déserts. Il y aura une dynamique avec les présidentielles mais de façade.
Cette stratégie perdante se retrouve aussi sur les circonscriptions des députés élus de la FI. On observe avec stupeur que les ténors de la stratégie de Bompard sont pour la plupart désavoués dans les villes de leur circonscription. Bastien Lachaud à Aubervilliers et à Pantin n’est pas parvenu à organiser son camp autour d’une liste gagnante. Alexis Corbière à Bagnolet voit la liste où sa femme est candidate écrasée au second tour.
Les méthodes si efficaces de la France Insoumise pour la présidentielle et la législative sont inexistantes. Plus de caravane, plus de porte-à-porte, plus d’éducation populaire. RienLa fuite des militantes et militants perdus dans la nature car écrasés par la verticalité du mouvement et par l’absence de structuration politique ainsi que les tentatives de « placer ses copains » et de la politique de la terre brûlée ne payent pas. Ces gens là le savent. Mais ils ne s’intéressent pas à l’échelon local. Sans pertinence pour eux.
Placer toute les priorités sur les prochaines élections nationales nous fait participer de ce système présidentiel nauséabond et canalise les énergies dans des combats perdus d'avance.
L'urgence démocratique, écologique et sociale n'est pas juste un mot en tête de gondole pour les prochains tracts. C'est une réalité qui arrive à grand pas et nous ne pouvons attendre encore.
Dans 6 ans, nous aurons traversé des états d'urgence sanitaires, peut-être vécu d'autres attentats, un réchauffement inéluctable, la destruction de la biodiversité, une société de la surveillance et du fichage, une répression sans précédent, des licenciements massifs...
Il est donc urgent de construire localement si nous voulons porter un projet politique global.