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Billet de blog 14 décembre 2011

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La revanche du cocu

Téméraire, culotté, habile, voici Jamel, 46 ans, Tunisien en situation irrégulière, ouvrier du bâtiment, privé de son métier depuis qu'une projection de ciment lui a crevé un œil. Il dort dehors ou dans un foyer d'hébergement. Il se rappelle la promesse de Sarkozy en 2006, à Charleville-Mézières: «Je veux, si je suis élu, que plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir».

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Téméraire, culotté, habile, voici Jamel, 46 ans, Tunisien en situation irrégulière, ouvrier du bâtiment, privé de son métier depuis qu'une projection de ciment lui a crevé un œil. Il dort dehors ou dans un foyer d'hébergement. Il se rappelle la promesse de Sarkozy en 2006, à Charleville-Mézières: «Je veux, si je suis élu, que plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir». Et, en 2010: «Le droit à l'hébergement est une obligation humaine».

Il sait que l'année dernière, 358 SDF sont morts dans la rue, moyenne d'âge, 47 ans. Il est capable d'en plaisanter: «Si ça se trouve, ils fumaient et on dira que c'est le tabac qui les a tués». Quant aux 570 victimes d'accidents du travail, Jamel a aussi sa petite idée: «C'est pour favoriser le plein emploi». Jamel, plus malin que la majorité de ses compagnons de misère, a compris que le politiquement correct s'illustre par des mots creux. Cocu de la société, il va la cocufier à son tour.

Jamel appelle un concierge privé dont la mission consiste à concrétiser les désirs des clients fortunés. Il se présente comme le bras droit d'un émir d'Arabie saoudite. Il y a urgence, son patron et ses deux filles arrivent dans deux jours à Paris. Il faut réserver des suites dans un palace, les accueillir avec limousine et bodyguards, mettre un jet privé à leur disposition. En ces temps de crise, quitte à déménager des célébrités, le concierge s'active, l'opération peut lui rapporter plusieurs milliers d'euros de commission. Jamel rappelle. Il veut un devis précis pour garnir la valise de billets que l'émir lui remettra à son arrivée. Nouveau coup de fil 30 minutes plus tard: «Je serai ce soir à Paris, trouvez-moi une suite dans un quatre étoiles et réservez-nous une table pour faire connaissance».

Jamel apparaît en début de soirée, veste en cachemire, attaché-case Vuitton, lunettes fumées Sergio Tacchini pour dissimuler son œil de verre. Image parfaite de la respectabilité, il déplore que sa mallette se soit perdue à l'aéroport, «vous allez devoir nous avancer le prix de la chambre et de notre dîner». Il réclame aussi un costume de rechange et un ordinateur portable, en attendant de récupérer les siens. Pas de problème. Le concierge raconte: «Il s'exprimait exactement comme le font les responsables du protocole des dignitaires arabes. Aimable et très directif, refusant d'attendre, capable de s'énerver, de mettre une pression incroyable». Jamel ne s'en tient pas là. La Visa Infinite du concierge chauffe à blanc. Il veut tout, tout de suite. La tournée des grands ducs, du Palais de la Porte Maillot au VIP Room. Des filles à sa table, qu'il arrose de magnum et de jéroboams. Son standing en prend un petit coup quand un soir, un peu éméché il réclame des putes et du shit mais il y a pire: l'émir est tombé malade et retarde son voyage. Le chauffeur de la limousine commence à s'alarmer. Le client ne parle pas anglais et son œil de verre est moche (modèle basique de la sécu). Mais Jamel jubile, il ne cesse de repousser les limites de la provocation, il va jusqu'à finir ses nuits dans un club privé... rue de la Grande Truanderie. Il se roule dans les draps de soie, il fait des orgies de langoustines. Il sait qu'il sera de retour bientôt sur le trottoir glacial ou, plus au chaud, sur une paillasse de Fleury-Merogis...

Si j'étais employeur, j'engagerais Jamel à sa sortie de prison. Je ne lui confierais peut-être pas la comptabilité mais il y a d'autres postes où rentabiliser ses qualités: inventif, créatif, capable de s'adapter à toute situation, excellente présentation, bon contact. Oui, c'est un arnaqueur. De bien moindre importance que l'économie de marchés qui détruit la démocratie en nommant, à la place du peuple, des gouvernants pour qui personne n' a voté. Ou bien ma banque, le C.A, qui vous décaisse 1.000 €, crédités six mois plus tôt, au prétexte que le chèque en question a dépassé sa date de validité. Jamel connait le prix des choses. Il a juste rendu à la société la monnaie de sa pièce.

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