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Billet de blog 30 novembre 2011

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Fumer plus pour gagner plus

Le tabac est une drogue, comme le pouvoir, on est prêt à toutes les bassesses pour le garder. Voilà déjà quatre ans que l'Etat traque le fumeur, augmente le prix de son paquet (sans succès, il s'approvisionne aux frontières ou par petits réseaux peu orthodoxes) et perd 35 millions de recettes fiscales.

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Le tabac est une drogue, comme le pouvoir, on est prêt à toutes les bassesses pour le garder. Voilà déjà quatre ans que l'Etat traque le fumeur, augmente le prix de son paquet (sans succès, il s'approvisionne aux frontières ou par petits réseaux peu orthodoxes) et perd 35 millions de recettes fiscales. Tout en continuant, pervers, à l'alimenter en poison, puisqu'il possède encore, à hauteur de 5%, la SEITA, créée par Poincaré en 1926 en tant que Caisse autonome pour la dette publique.

Il serait peut-être sage de s'en souvenir alors que, depuis 2010, notre dette actuelle augmente de 5.508€ par seconde et que les mesures prises à l'encontre des fumeurs sont à peu près aussi efficaces que le tue-mouche écolo qui laisse une chance à l'insecte (dernier Prix du Concours Lépine).

On a beau menacer l'intoxiqué du pire, inscrire en majuscule sur son paquet «Fumer tue» en omettant avec pudeur de souligner que «Vivre tue» tout aussi bien, lui prédire qu'il mourra une fois sur deux de son vice, l'exclure de tous les endroits publics ou de convivialité, y compris les quais de gare en plein air –certes, comme lieu de divertissement, il n'y a pas mieux– il ne cède pas. Car le fumeur est coriace, il n'arrête sa cigarette que s'il l'a décidé. Il sait qu'au XVIe siècle l'usage du tabac pouvait valoir excommunication ou décapitation... et qu'il a survécu. Bref, on a fait du fumeur un désespéré qui s'ignore.

Ses vieux jours, il les appréhende noirs comme ses poumons bientôt tapissés de goudron. Sa retraite? Quand il y pense, il allume une bonne clope pour se remonter le moral. Sous peu, il devra s'essouffler davantage à travailler jusqu'à 62 ou 63 ans, alors que, comme les autres, il sera débarqué de son entreprise vers la cinquantaine, avec 5% de décote en pré-retraite par année manquante. Aura-t-il au moins une petite pension d'invalidité pour acheter sa dose quotidienne? Peut-être bien.

Fumer plus pour gagner plus, tel pourrait être le slogan d'un nouveau système de retraite complémentaire allemand. «Prenons l'exemple d'un homme de 60 ans qui fume trente cigarettes par jour, il peut toucher une retraite complémentaire supérieure de 15% à celle d'un non-fumeur en versant le même capital au départ.» Déclaration de Burkhard Remke, directeur de la Cie d'Assurance AID. Il fallait bien contourner cet aphorisme surréaliste «travailler plus pour gagner plus», qui paraissait avoir un sens, avant d'être dramatiquement démenti par la réalité, «pas de bras, pas de chocolat».

Plutôt que de parier sur des assurés en bonne santé, l'initiative de M. Remke se base sur un principe notoirement répandu. Un bon vieux fumeur passe plus tôt qu'un autre de vie à trépas. Dans cette perspective, l'accro à la nicotine est invité à bloquer une somme fixe sur son compte. Une fois finie sa vie active, il recevra un revenu mensuel supérieur à celui des abstinents. Attention, ne se déclare pas fumeur qui veut, histoire de profiter du bonus. Avant de l'agréer, la Cie le soumet à un test médical de recherche de «cotinine», substance chimique qui confirme le tabagisme avancé. Et pas question de sevrage en secret: le test est renouvelé tous les ans. Négatif, l'assuré est radié. En revanche, si l'assuré-fumeur déclare une maladie cardiaque avec complications, alors là, c'est le gros lot: son supplément mensuel passe de 574€ à 918€. S'il atteint un âge avancé? «Dans ce cas, le risque est pour nous» déclare M. Remke, magnanime.

Trois compagnies allemandes d'assurances se partagent désormais la prébende des fumeurs. Elles refusent de dévoiler le nombre de leurs clients et se contentent de susurrer que leur produit est déjà bien implanté en Grande-Bretagne et reçoit le meilleur accueil partout. Bientôt en France? Pour une fois que le péché est récompensé...

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