Q : Bonjour Mr le Président, vous intervenez au JT de 13 heures, et pas à celui de 20 heures. A qui voulez-vous parler, au juste ? A la France qui travaille et qui manifeste ou à la France déjà en retraite et dont on sait qu’elle vous est pour la plupart acquise ?
E.M : D’abord, bonjour, et merci d’être là, dans mon palais si chic et si cher, un endroit où je me sens comme un Roi, pas déstabilisé ni par la rue ni par les travailleurs, ni par toute cette piétaille qui gronde, la nuit, dans la pénombre des villes, bref, où je me sens en confiance. Pour répondre plus précisément à votre question : Je veux parler à tout le monde, bien sûr, mais surtout à ceux qui fustigent la chienlit gauchiste et le désordre désordonné, à ceux, qui, comme c’est un droit dans notre pays, veulent la paix, la postérité, la tranquillité, le bonheur, bref, au plus vieux d’entre nous, à ceux qui ont peur. Moi aussi je le veux, ce bonheur, de toutes mes forces, et j’ai d’ailleurs donné l’ordre au ministère de l’intérieur, aux flics et aux fonctionnaires de tout le gouvernement, ainsi qu’à Madame Borne de me regarder parler. Ça va les rassurer. Même si je serre les fesses, parce que le moment est assez difficile, je l’avoue, mais j’ai appris à ce que ça ne se voit pas et j’ai aussi appris à avoir toujours réponse à tout, tout seul.
Q: Vous n’avez eu de cesse, vous et votre gouvernent, de dire haut et fort que vous alliez recourir au vote de l’assemblée et non pas au 49,3 pour faire passer cette réforme de retraites. Or vous avez fait l’inverse juste au dernier moment…
E.M: Vous ne pensiez tout de même pas que vous alliez me voir perdre ? Comprenez-moi bien : c’était et cela reste inimaginable. Je ne perds jamais, la banque a été mon école. Je suis beau, je suis intelligent, je suis un winner. Et puis, c’est comme une guerre, un vote : celui qui perd, perd tout, devant tout le monde. Humiliant. Alors, Le 49.3, c’est un choix assumé. Et tout juste une petite fièvre de rien du tout… Vous verrez, dans quelques jours, il n’y paraîtra plus…
Q: Admettez que cette réforme est brutale, et que la France est très, très en colère…
Brutal, moi ? J’ai été élu sur un programme, puis réélu, l’opposition à Marine Le Pen a été ma chance, je l’ai prise. Les gens me détestent mais je m’en fous. La seule chose qui m’intéresse c’est le libéralisme absolu pour notre pays: des jeunes ou des vieux en CDD à répétition qui font baisser les statistiques du chômage, des sous-traitants en veux-tu en voilà, des travailleurs sans papiers sous-payés, des riches de plus en plus riches, un entreprenariat dynamique plutôt que du service public, bref, une start-up nation. Et j’ai fait de la PE-DA-GO-GIE sur cette réforme, suffisamment ! Bon, les gens n’y ont pas cru, mais je m’en fous aussi, parce que j’ai le pouvoir. La France doit être réformée, pour rassurer les marchés financiers. Je persiste, je signe et je contresigne. Nous avons décidé ensemble que les gens doivent crever au boulot, sinon comment ferait-on pour amasser toutes nos richesses ? La France est un grand pays, il faudrait s’en souvenir ! Or pour l’instant, ce que je vois, c’est une France qui pleure, qui gémit, qui se lamente. Mais je suis sûr qu’elle va se relever, retrousser ses manches, siffloter dans les chantiers et les cantines, regarder vers l’avenir comme elle l’a toujours fait. Et je serai là. Encore quatre ans.
Q: Mais la colère, Monsieur le président, la colère… Vous ne pouvez pas y être insensible…
E.M: La colère ? C’est bien qu’elle s’exprime ! Mais loin de moi. Les gilets jaunes, avec leurs idées d’envahir nos beaux quartiers, à deux pas de l‘arc de triomphe, de l’Élysée et des immeubles bourgeois m’ont fait un peu trembler, je vous l’avoue. Mais maintenant c’est fini, les manifestations reprennent les canaux habituels, République, Nation …. Les manifestants devraient d’ailleurs réfléchir à ces deux mots, République, Nation, plutôt que de brandir des pancartes ineptes dans la rue comme « arrêtez de nous prendre pour des chèvres » qui ne veut strictement rien dire.
Q: Vous avez annoncé la veille de votre interview que vous ne recourrez ni au remaniement, ni à la dissolution, ni au Référendum d’Initiative Populaire… Il nous reste donc votre démission puisque vous n'entendez pas les français … Allez-vous démissionner, Monsieur le Président ?
E.M: Démissionner !!!??? Vous n’y pensez pas, j’espère. Le pouvoir est une drogue dure dont personne, après y avoir goûté, ne peut plus se passer. Et le pouvoir absolu, comme j’ai parfois l’impression de l’atteindre, me fait beaucoup de bien. Et ce qui me fait du bien fait aussi du bien au pays.
Q: Votre gouvernement et régulièrement Mme Borne ont dénoncé et dénoncent régulièrement la « bordélisation de l’assemblée » la « Zad » qui s’y est installée, le pourrissement des débats ici et là… En visant particulièrement la gauche, en parlant de déni de démocratie…Mais les députés font leur travail et portent les revendications de beaucoup de citoyens. Ils ont été élus. En avez-vous si peur ?
E.M: Peur ? Moi ? jamais. Vous êtes bien naïve, et je sais ce que je fais. Si on n’envoyait pas aux français ces rideaux de fumée, si on ne montait pas en épingle à jets continu le moindre petit éclat de voix , ils pourraient bien se reconnaître dans les propositions qui sont avancées, et ça, il en est hors de question. Chacun doit rester dans sa case. Il y a ceux qui triment, et il y a ceux qui s’engraissent.
Q: Dans les manifestations, des reportages le montrent, la police charge, gaze, interpelle arbitrairement , alors qu’elle n’est parfois ni attaquée, ni prise à partie par les manifestants. Dénoncez-vous ces abus? Même le président de la Ligue des Droits de l'Homme, Me Patrick Baudouin, dénonce "une situation alarmante pour la démocratie"
E.M: Je ne permettrai jamais qu’on attaque les forces de l’ordre. Ils sont les joyaux de notre pays et mes joyaux à moi. Ils me permettent d’être en sécurité partout et de me mettre dans la poche les plus frileux des français, ceux qui voient brûler une poubelle et qui s’imaginent que demain ce sera leur maison, leur village, leur ville, parce qu’ils regardent trop la télé, et ça, ça m'arrange.
Q: La violence n’a pas qu’un visage. Il y a les feux de poubelles, mais il y a aussi une autre violence, beaucoup plus sournoise, cachée, celle que vous exercez, celle qu’exerce aujourd’hui le capitalisme dans le travail, les loyers, la consommation, la pub, la vie de tous les jours... Pourtant, nous pourrions être heureux, en partageant.
E.M: Mais je suis heureux ! Le monde est tragique, mais je suis là.
Q: Médiapart, un excellent journal, Monsieur le Président, (en ce moment il y a une offre d’abonnement d’un an pour 15 euros seulement) rappelle que la taxation des plus riches fait de plus en plus d’émules, non seulement en France mais aussi au niveau européen. Cela permettrait de financer les retraites et beaucoup d’autres choses encore. Or, vous vous y êtes toujours opposé. N’est-il pas temps aujourd’hui de revoir votre position ?
E.M : L’argent ! Ah ! L’argent ! Je vous le redis, ma position a toujours été la même ! Souvenez-vous : le 12 avril 2018, j’ai déclaré dans une interview sur TF1, ma chaîne préférée : « Les riches, ils n'ont pas besoin d'un président, ils se débrouillent très bien tous seuls ». C’est une petite phrase qui est passée assez inaperçue, et je le regrette car j’en était très content : tout y est dit. S’ils n’ont pas besoin de président, ils n’ont pas besoin de démocratie. Leur seule force est d’être le plus discrets possible, et de pleurer pour la forme en jetant quelques piécettes quand on les regarde de trop près.
Q: Les syndicats vous ont fait des contre-propositions sur la réforme des retraites mais vous n’en avez pas tenu compte. Les travailleurs, les étudiants, bref une grande partie des français vous accusent de les mépriser, car encore une fois vous décidez seul, sans concertation et vous ne comprenez pas leur vie.
E.M: Je suis élu, je suis le président, et les français m’ont accordé leur confiance. Les syndicats ? Ah, ah, ah ! Que des niaiseries ! Concertation ? Quezaco ? Oui, j’ai l’habitude de décider seul, je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, je reçois les syndicats pour la forme. Mais j’agis ! Mais je pense ! Oui, j’ai du mépris pour les gens et je le revendique, que ce soit pour toutes les petites mains de notre pays ou les « sans dents » chers à François Hollande, vous voyez, finalement, je ne suis quand même pas si seul, on est même toute une foule. On méprise en concertation. D’ailleurs, si vous regardez l’histoire de France et même celle de la majorité des pays du monde, ou que vous lisez Orwell et ce qu’il dit sur le pouvoir, c’est un sentiment partagé par nombre de gouvernants. C’est une constante. Et on doit la prendre en compte, pour le bien de notre pays, le bien de l’Europe, le bien du monde.
Q: Mais… Nous sommes en démocratie, et vous êtes bien là pour nous servir et non pas l’inverse. Quand le peuple ne veut pas, le peuple ne veut pas. Quelle est votre définition de la démocratie, monsieur Macron ?
E.M : Un pour tous.
Q : Et tous pour un ?
E.M : Non, ça c’est de la vieille politique.