« On est attaché à la bagnole, on aime la bagnole. Et moi je l’adore », telle est la déclaration d’amour proférée par Emmanuel Macron au journal télévisé de France 2 et de TF1, dimanche 24 septembre ; cela en prélude au lancement, le lendemain, de la « planification écologique ». Or s’il y a une responsable des graves problèmes environnementaux qu’une planification digne de ce nom est censée atténuer, sinon résoudre, c’est bien la voiture privée.
Dans l’hexagone en effet, la voiture individuelle représente 16% des émissions des gaz à effet de serre. De plus, selon les chiffres récemment donnés par le WWF, les SUV émettent en moyenne 20% de GES de plus que le reste des voitures. Ainsi « les SUV ont constitué, ces dix dernières années, la 2ème source de croissance des émissions de CO2 françaises, derrière le secteur aérien ». Quant à la voiture électrique, son bilan écologique global est d’à peine 10 % inférieur de celui d’une voiture à combustion d’hydrocarbures.
Alors que faire face aux excès d’un trafic soutenu par SUV surcylindrées, motocycles démesurés et jeeps surdimensionnées ? Ce qui est en cause c’est le trafic individuel motorisé. Non content de contribuer à une part importante des émissions de gaz à effet de serre avec les conséquences environnementales et donc humaines que l’on sait, non content d’être la cause de nombreux accidents dont les coûts sont en définitive supportés par la sécurité sociale et donc par le contribuable, le développement exponentiel du trafic individuel motorisé a été conjugué avec celui des transports routiers des marchandises. Il a provoqué un bétonnage inconsidéré des zones urbaines comme des étendues de campagne : élargissement des rues au détriment de l’arborisation, installation de vastes parkings en surface et en sous-sol, construction d’autoroutes à l’emprise bétonnée démesurée, etc. ; avec les conséquences écologiques dramatiques que l’on connait, ne serait-ce qu’en raison de l’usage surabondant d’un béton à la production particulièrement polluante.
La solution ? Elle est dans le renoncement au trafic individuel motorisé. Non pas que les déplacements, toutes catégories confondues, puissent être assumés uniquement par les transports publics, ni d’ailleurs par les différents moyens de la mobilité douce et active, allant de la simple marche à l’usage du vélo en passant par la trottinette. Mais les possibilités sont nombreuses de développement d’un service public de location temporaire de voitures privées, de services publics de taxis, de coopératives d’autopartage, en milieu urbain comme en milieu rural, jusque dans les plus petites des agglomérations.
N’oublions pas qu’au tournant du siècle dernier et jusqu'à la fin de la guerre, le territoire français était quadrillé par des réseaux de chemin de fer secondaires, souvent à voie étroite ; s’y ajoutaient les lignes secondaires des grands réseaux regroupés dans la SNCF en 1937. Le train assurait ainsi le transport, étendu à tout le territoire jusque dans le moindre village, non seulement des passagers, mais aussi des marchandises. Cela à l’issue du programme de construction de lignes de chemin de fer et de canaux promu par le ministre des travaux publics Charles de Freycinet: de là la réalisation dès 1878 du « plan Freycinet ».
Mais il y a plus. Dans l’amour déclaré à la bagnole, on se garde bien de réfléchir à son fondement idéologique : l’apologie d’une liberté individuelle sans considération pour celle des autres, une liberté à exercer sans le moindre sens de la responsabilité ni humaine, ni désormais écologique. Ce n’est pas un hasard si le modèle du trafic individuel motorisé a été développé et imposé depuis un siècle aux États-Unis, au détriment des chemins de fer et de vastes réseaux urbains et suburbains de trams. Le but : le profit par l’intermédiaire d’une industrie automobile soumise aux seules règles du marché et par conséquent de l’obsolescence programmée, avec la terrible taylorisation du travail que cela implique.
À cet égard sont significatifs les principes affichés pour la « planification écologique » à la française. Pour Macron, elle doit d’abord « créer de la valeur économique » tout en étant « porteuse d’innovation et facteur de compétitivité » ; cela pour permettre à la France de retrouver sa souveraineté… Mais pouvait-on attendre davantage d’un Ministre des finances sous Hollande qui s’est empressé d’ouvrir à la concurrence des bus les lignes ferroviaires intercités, lui qui, à peine lu Président, s’est empressé de supprimer l’ISF tout en invitant Donald Trump pour son premier 14 juillet présidentiel …
D’emblée, les organisateurs et les hôtes pétroliers de la COP28 à Dubaï peuvent se réjouir !
Ainsi par la conversion socialisée du lourd appareil de production des voitures privées aux moyens de transport décarbonés et collectifs, c’est un système triplement polluant qu’il convient désormais d’écarter, un système coupable à la fois d’écocide et d’homicide. En bonne perspective écosocialiste s’impose une transition écologique et sociale pour assurer la mobilité des personnes et le transport des marchandises. Elle implique non seulement la socialisation des grandes entreprises de production automobile, mais aussi une planification stricte du territoire. Il en va de notre avenir non seulement climatique, mais plus globalement environnemental et surtout politique, au sens grec du terme.
Rompre avec le modèle néolibéral de la liberté individuelle (qui s'exerce au détriment des autres) signifie en particulier rompre avec l’invraisemblable attachement à la voiture privée, suscité et entretenu par un système axé sur la seule croissance économique et financière, au détriment des communautés humaines et de l'environnement qui assure leur survie.
Claude Calame
EHESS, ATTAC, LDH, Ensemble!
Voir:
https://blogs.mediapart.fr/claude-calame/blog/301122/cop27-la-bonne-conscience-environnementale-du-capitalisme
https://blogs.mediapart.fr/claude-calame/blog/151121/cop26-pas-de-retablissement-environnemental-sans-rupture-economique-et-sociale
https://www.tplondon.com/product/humans-environment/