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Ex ingénieur -physicien- - membre d'ATTAC. Auteur de l'essai "Le rasoir d'Ockham" paru en Juin 2017 aux éditions Edilivre

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Billet de blog 10 mai 2015

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11 janvier 2015 : La carte n'est pas le territoire

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Emmanuel Todd et Manuel Valls ont visiblement oublié cet aphorisme inventé par l'auteur de « science and sanity » : Alfred Korzybski, à savoir que la carte n'est pas le territoire. Le peintre Magritte illustrait le propos de façon plus ludique en dessinant l'image d'une pipe dont la légende précisait : « ceci n'est pas une pipe ».

Il y a en effet bien peu de ressemblance entre ce qui s'est passé, ce qu'on vécus les citoyens et ce qu'on en raconte aujourd'hui.

Il y a des faits, cruels : Des assassins sont descendus dans la ville, et ont fait leur œuvre de mort : on attend encore, de la part des autorités, quelques éclaircissements et réactions sur les commanditaires, la préparation, les complicités... the show must go on, pour le plus grand bien de la pub qui alimente les infos. Le flux médiatique s'est orienté vers d'autres horizons : Un pilote s'est suicidé et a suicidé équipage et passagers, une guerre de succession s'est déclenchée au FN, Sarkozy finira-t-il par être accusé de quelque chose ? Bref, la vie continue, ou plutôt le spectacle comme on proposait naguère au citoyen à Rome « Panem e Circenses » : du pain et du cirque, et pour certains, crise oblige, moins de pain et plus de cirque.

Les manifestants, manipulés par un pouvoir dont l'hypocrisie n'est plus à démontrer, étaient-ils dans la rue le 11 janvier comme le prétend Todd pour « dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu et même un devoir » ? étais-ce une armée de fieffé imbéciles qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient là ?

Tout autour de moi, au milieu de la foule et à perte de vue, certains portaient des pancartes « je suis Charlie » mais d'autres ajoutaient « je suis Charlie et Mohamed » et d'autres encore « je suis Charlie et Juif » et ils défilaient ensemble. Un inconnu un moment, est venu près de moi et nous avons parlé d'Aragon et de « la rose et le réséda » (vous savez : ceux qui croyaient en Dieu et ceux qui n'y croyaient pas ... ). Une pancarte circulait, remarquée/ elle disait juste : « c'est difficile de devoir manifester avec des cons ! ».

En effet, s'il était naturel que les pouvoirs publics encadrent et protègent une manifestation qui promettait d'être gigantesque, il était sans doute inutile d'orchestrer en son sein un rendez-vous d'oligarques dont certains ont du sang dans les mains, prétendant aussi « être Charlie ». Il y avait même un chef d'état étranger qui la veille exhortait publiquement ses coreligionnaires français à quitter la France ou ils ne seraient pas en sécurité. Ca n'a pas duré bien longtemps : Une fois les photos prises avec quelques mégapixels de vidéo, ce petit groupe de « happy few » bifurquait sur un autre itinéraire et quittaient le cortège. N'empêche, ça avait un peu gâché l'ambiance.

Mais que voulaient donc ces innombrables manifestants au sein desquels je m'étais fourvoyé ?

Ailleurs, je ne sais pas car on a manifesté un peu partout en France, mais à Paris il y en avait, si j'ose dire, de toutes les couleurs et de toutes les conditions : j'en ai même rencontré du 9-3 monsieur Todd, et de plus loin encore. Chacun avait sans aucun doute ses propres raisons d'être là mais il me semble qu'il y avait une protestation commune du genre « on ne tue pas comme ça, dans une démocratie » et peut-être même pour certains plus radicaux : « Si on peut tuer comme ça en France, sommes-nous encore en démocratie ?

Étais-ce un mouvement religieux ? Certainement pas sinon au sens le plus laïque du terme, et pas plus un mouvement politique sinon au sens du « vivre ensemble ».

On a été content sans aucun doute, pour une fois, de voir la police du bon côté, mais peut-être pas au point de mettre sous sa tutelle nos libertés dans le cadre d'une loi « patriot » à la française. Le parlement vient de décider de mettre sous surveillance la population entière pour le cas ou quelques brebis noires se cacheraient parmi elle. Les américains eux-même, après avoir découvert que ce n'était pas démocratique sont bien près de convenir que c'est de plus inefficace, au moins pour le but recherché.

Nous sommes soixante six millions de français (chiffre 2013) et la manifestation du 11 janvier, si gigantesque qu'elle ait été, était néanmoins minoritaire. Cela signifie que des citoyens aussi mal intentionnés que ne l'imagine Emmanuel Todd existent probablement sur notre territoire et n'étaient peut-être pas tous à la manif : les derniers résultats électoraux ont tendance à le démontrer, mais cela n'implique pas qu'il soit légitime d'insulter ceux qui, naïf ou pas, auront cru pour un soir qu'un autre monde moins cruel était possible.

Les arguments politiciens de Vals ne convaincront sans doute pas non plus ceux qui s'inquiètent de voir l'appareil politique enfermer la liberté dans la surveillance et la répression plutôt que de travailler rapidement et efficacement à rétablir une démocratie qui a du plomb dans l'aile.

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