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Ex ingénieur -physicien- - membre d'ATTAC. Auteur de l'essai "Le rasoir d'Ockham" paru en Juin 2017 aux éditions Edilivre

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Billet de blog 12 avril 2015

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les accords de libre échange, de l'intérêt général aux intérêts particuliers

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Il est parfois utile de savoir d'où on vient pour analyser ou l'on va. L'histoire des rapports commerciaux n'est pas sans rapport avec la situation tourmentée de nos rapports sociaux et les soubresaults des politiques dites « sociales ».

Historique des accords commerciaux

Dans le n° 4 de la revue interne « les possibles » éditée par le conseil scientifique d'ATTAC France, Jean Tosti dresse un historique des accords commerciaux préférentiels dans l'histoire.

Sans remonter comme lui dans l'antiquité, ni même au XVIIe siècle ou un accord régulait les échanges de laines anglaises et de vins portugais, notons que souvent des accords commerciaux furent signés en conclusion de périodes de conflits, notamment entre les protagonistes au delà de leurs pratiques protectionnistes soucieux de rétablir un minimum de liens commerciaux et des liens de communication rompus par les conséquences du conflit.

Ce fut encore le cas à l'issue de la seconde guerre mondiale dont les vainqueurs bâtirent de nouvelles normes commerciales auxquelles ils assujettirent rapidement les vaincus et bientôt l'essentiel du reste de la planète.

Il faut noter pour l'histoire qu'il y eut deux tentatives très différentes d'organisation du commerce international dont la première, la charte de la Havane négociée dans le cadre de l'ONU échoua sur l'opposition Nord Américaine.

La charte de la havane

Ses principes généraux1 étaient :

  • L'intégration du plein emploi dans les objectifs

  • L'équilibre le la balance des paiements, en opposition avec un libre échange sans régulation

  • au contraire des politiques de coopération prenant en compte les normes de l'OIT et du conseil économique et social de l'ONU

  • des normes de travail équitables et le contrôle des mouvements de capitaux

  • L'interdiction du dumping à l'exportation et le recours possible au contingentement des importations dans des circonstances économiques particulières.

  • enfin la reconnaissance du droit pour chaque état de contrôler les investissements étrangers et de favoriser ses propres industries dans un but de développement interne.

Les Etats Unis ayant refusé de ratifier cette charte, des négociations s'engagèrent dans l'élaboration des GATTS, accords multilatéraux régissant le commerce mondial, un ensemble de cycles de négociation dont le dernier, à Marrakech en 1994, aboutit à la naissance de l'OMC.

Les GATTS et l'OMC

Les texte constitutifs de l'OMC sont ceux résultant de l'accord de Marrakech, dont l'approfondissement était prévu dans le cycle de Doha.

Les principes de ces accords, inspirés par les vainqueurs du dernier conflit armé face à l'économie en grande partie détruite sur le continent européen, étaient bien différents de ceux souhaités par les négociateurs de la charte de la Havane :

  • Elimination progressive des barrières douanières

  • Principe de non discrimination entre les produits et investissements importés et nationaux

  • Protection renforcée de la propriété intellectuelle et des brevets au niveau international

  • Liberté toujours plus grande de la circulation des capitaux et des investissements associée à un assouplissement progressif du contrôle des états sur l'installation transnationale des entreprises et sur la pénétration des marchés nationaux.

Les accords de libre échange

Concurremment à ces accords en négociation, plusieurs pays européens ex colonisateurs, impliqués dans le processus de décolonisation qui devait perdurer jusque dans les années 1970 du XXe siècle négociaient des accords bilatéraux ou plurilatéraux avec les anciens pays colonisés, négociés dans le cadre de la CEE avec les pays ACP2 dont l'accord de LOME, puis l'accord de Cotonou et qui se poursuivent par une série d'accords dits de « libre échange ». Ces accords au début incluaient des dispositions préférentielles aux pays en développement pour permettre le développement de leurs structures économiques consolidant leur indépendance. Sous la pression des règles de l'OMC mais surtout des lobbies européens avides de conquérir de nouveaux marchés ou de consolider ceux hérités de la colonisation politique, ces accords tendent à devenir une nouvelle forme de colonisation industrielle et commerciale.

Le plan Marshall et l'union européenne

Un autre élément est intervenu dans l'évolution des relations commerciales mondiales :

Pour rétablir les capacités productives des pays européens, y compris les vaincus3 les gouvernements US et canadien mirent en œuvre dès 1947 avec leurs alliés européens le « plan Marshall », un prêt massif d'investissements qui n'était pas sans conditions et en particuliers celles qui par ailleurs étaient introduites dans les GATTS comme l'abaissement des barrières douanières et l'établissement de marchés « libres et non faussés », conditions qui furent introduites dans toutes les structures politiques européennes développées dans l'après guerre : la CECA, puis le traité de l'Euratom et le traité de Rome créant la CEE. Ces conditions sont devenues des fondamentaux de l'UE avec l'acte unique en 1986 et le traité de Maastricht en 1992.

Ces dispositions sont désormais constitutives de la structure résolument libérales de l'Union Européenne d'aujourd'hui et du fonctionnement que nous lui connaissons.

Les accords commerciaux aujourd'hui

L'échec du cycle de Doha, sur lequel on a déjà beaucoup parlé a redistribué les cartes, le refus d'un certain nombre de pays coalisés ayant empêché d'étendre encore le caractère ultra libéral du commerce mondial, dans le cadre multilatéral de l'OMC. Les entreprises multinationales, qui devaient en être bénéficiaires, ont donc réorienté leurs politiques de lobbying en mettant la pression sur les états nationaux qui les abritent pour négocier séparément des accords bilatéraux, parfois plurinationaux comme dans les accords ACP, en pesant de tout le poids de leur système économique et industriel sur des nations industriellement et financièrement plus fragiles.

On trouve inscrits au JOUE4 près de 500 accords de différents niveaux signés entre l'UE et des pays de 5 zones géographiques : euro-méditerranéenne, pays des Balkans occidentaux, Amérique du Sud, ACP, Asie.

La plupart de ces accords sont signés et appliqués dans un état de déséquilibre inacceptable, ouvrant un boulevard à la pénétration des multinationales européennes jusque dans les services publics et sociaux de certains pays, leur ouvrant le chemin des ressources locales et minières,corrompant leurs structures politiques et compromettant unilatéralement leur développement.

Certains sont différents, sinon en nocivité, du moins en nature, lorsqu'il s'agit d'accords entre pays ou territoires industrialisés peuplés d'entreprises transnationales d'ailleurs pratiquement toujours présentes par des investissements, des filiales, des unités de production et des circuits commerciaux sur le territoire de l'autre partie en négociation.

C'est le cas particulièrement des accords conclus ou en négociation de l'UE avec la Corée du Sud, le Japon, le Canada et les USA. L'accord avec la Corée est en vigueur depuis deux ans : les flux d'échange sont pratiquement équilibrés, autour de 34 milliards d'euros. L'accord avec le Japon est en négociation, avec semble-t-il quelques difficultés en raison de la quasi-récession des deux côtés.

Les projets transatlantiques

CETA ou en français AECG5 est un accord dont la négociation est en principe achevée et qui devrait entrer rapidement dans le circuit de signature et de ratification par les états membres, canadiens et européens. Les états membres de l'UE sont cependant loin d'être tous unanimes sur l'ensemble des dispositions.

TAFTA ou TTIP, le projet aux noms multiples6 est un projet US-UE en réalité en gestation depuis 1995 et en négociation active depuis 2013 mais dont on ne sait rien sinon aujourd'hui le mandat donné par les états de l'UE à la commission . On commence a en mesurer les contours gräce à quelques fuites et à la connaissance du milieu militant sur les négociateurs et les lobbies qui se cachent derrière.

Pour beaucoup, CETA est le poisson pilote de TAFTA tant les problématiques et les intentions affichées sont proches.

Stratégies et organisation des multinationales

Assez paradoxalement, c'est quelque chose que l'on peut connaître presque mieux que les négociations elles-même et que les positions politiques car contrairement aux politiciens qui avancent masqués face à une opinion publique de plus en plus méfiante, les entreprises savent ce qu'elles veulent et le disent : quand elles se groupent pour organiser leur travail d'influence, elle n'hésitent pas à se montrer sur Internet et à y développer leur propagande.

Comme nous le disions, dans ce type d'accord, il ne s'agit plus d'ouvrir les marchés sur le territoire voisin : chacune des entreprises nationale est déjà sur le territoire voisin et vice versa.

Les conditions de la concurrence ne seront guère modifiées car les unes et les autres ont déjà une longue pratique de cohabitation et par la force des choses dans la plupart des cas il n'y a que peu de discrimination dans la façon dont elles sont traitées sur les marchés locaux, sauf quand des considérations d'intérêt général ou de gestion des territoires peut amener une autorité publique à préférer telle entreprise plutôt que telle autre ou amener une limitation à telle ou telle activité.

Il s'agit donc désormais de donner un peu plus de liberté à chaque entreprise, quelle qu'elle soit et où qu'elle soit, pour faire ce qu'elle veut, avec le moins possible de contraintes extérieures, dans une saine concurrence libre et non faussée.

En conséquence, à la périphérie d'un accord bilatéral, les entreprises s'organisent, toutes nationalités confondues, nonobstant toute concurrence, pour obtenir ensemble le meilleur état d'un commerce sans régulation ou seuls le producteur (plus de droit du travail) le consommateur (plus de norme qualité) et le service public (à privatiser ou détruire) seront les perdants.

Bien sur, dans les entreprises, il y aura des « francs tireurs » qui feront du lobbying individuel (entreprises ou corporations) mais précisément l'organisation commune sera là pour gérer en interne les conflits d'intérêt.

Pour CETA, le lobby collectif s'appelle CERT : de son nom complet Canada Europe Round Table for Business. Sur son site internet, http://www.canada-europe.org/fr/ (en français) le CERT prévoit signature et ratification pour fin 2015 – début 2016.

Pour TAFTA, le lobby collectif s'appelle TABC pour TransAtlantic Business Council. Il est né en janvier 2013 un peu avant l'annonce de la négociation par OBAMA, à partir de la fusion d'un lobby quasi officiel : le TABC qui depuis 1995 est le conseiller officiel des gouvernements US et EU pour le commerce, et d'une autre structure lobbyiste : l'EABC ou European American Business Council.

Sur le site internet du TABC : http://www.transatlanticbusiness.org/ , on trouve trace d'une rencontre récente entre responsables du CERT et du TABC pour analyser ensemble les difficultés rencontrées dans la phase finale de ratification du CETA, ce qui démontre les connections et la coordination des entreprises sur le continent US.

Le mandat européen de négociations de TAFTA

Longtemps secret jalousement gardé par les états et la commission, il a néanmoins « fuité » puis sous des pression diverses il a fini par être rendu public.

Ce mandat comporte 18 pages supposées définir les limites imposées aux négociateurs, mais en réalité, l'essentiel du mandat proprement dit est exprimé dans les articles 42 à 45, dispositions finales tenant dans moins d'une page :

42 [...]l'accord peut contenir des dispositions afférentes à d'autres domaines liés aux relations commerciales et économiques si, au cours des négociations, un intérêt mutuel se dégage dans ce sens.Autrement dit, les négociateurs sont autorisés par avance à aller au delà des limites du mandat.

43 Cadre institutionnel L'accord mettra en place une structure institutionnelle permettant d'assurer un suivi efficace des engagements découlant de l'accord, ainsi que de favoriser la réalisation progressive de la compatibilité entre les régimes de réglementation. L'accord ne sera donc pas figé mais évolutif

44 La Commission[...] pourra, conformément aux traités, présenter des recommandations au Conseil sur d'éventuelles directives de négociation supplémentaires concernant n'importe quelle question, selon les mêmes procédures d'adoption[...] que pour le présent mandat. Autrement dit les modifications éventuelles ne seront pas soumises à ratification par les parlements. C'est la fameuse coopération réglementaire soumettant au final les textes législatifs à l'approbation préalable de l'autre partie … et des lobbies.

45 Règlement des différends. L'accord comprendra un mécanisme approprié de règlement des différends qui garantira que les parties respectent les règles dont elles sont convenues[..].C'est le tribunal d'arbitrage avec des arbitres privés

L'accord comportera aussi une partie douanière et commerciale pour abattre les barières tarifaires et non tarifaires mais touchera aussi au droit du travail, au commerce des services, et devra être conforme ou « améliorer » les règles de l'OMC. A noter tout de même un article 9 définissant une exception culturelle et disant que l'accord ne devra contenir aucune disposition risquant de porter atteinte à la diversité culturelle mais que dans l'application qui en a été faite dans la négociation de CETA, l'UE n'en a demandé l'application que pour le secteur audiovisuel.

En conclusion

Suivant l'orientation prise à l'OMC dans les années 90 les règles du commerce international sont de plus en plus libérées de la tutelle des états et des citoyens. Les derniers accords de libre échange en négociation ont de plus en plus l'allure et le fond d'une démission du pouvoir régalien devant celui des entreprises multinationales et de la déconsidération de toute forme d'intérêt général devant les intérêts privés.

Une évolution tout à fait inquiétante alors que la crise environnementale réclame d'urgence que l'on renforce les régulations et que l'on impose des normes plus sévères dans les processus industriels et commerciaux mettant en cause les ressources planétaires et l'environnement.

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1Source:wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_de_La_Havane

2ACP : Afrique, Caraibes, Pacifique

3Notamment pour ne pas reproduire l'erreur commise après la première guerre mondiale ou l'on avait prétendu faire payer à l'Allemagne le prix des dommages de guerre avec le succès que l'on sait

4JOUE : journal officiel de l'Union européenne

5Compréhensive Economic and Trade Agreement ou en français Accord Economique et Commercial Global

6Les étasuniens disent TAFTA (transAtlantic Free Trade Agreement) , les européens TTIP (Transatlantic Trade and Investissment Partenership) et en français c'est Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissements

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