Le Général de Gaulle en 1961 alors que le désordre s'installait à Alger décrétait l'état d'urgence sur le territoire français.
Nous sommes en 2017 en France, dans un pays qui, au delà d'un autre état d'urgence beaucoup plus politique (visant plus à calmer les ardeurs républicaines et à entretenir un climat d'exception qu'à vraiment lutter contre un terrorisme insaisissable) reste néanmoins un havre de paix et de sécurité, par rapport à tant de pays ou les instances démocratiques ont cédé le pas à des régimes dominés par des cliques autocratiques.
Pourtant, il s'y est constitué depuis plus longtemps qu'il y paraît un climat qui, à l'occasion de la dernière campagne présidentielle a tendance à cristalliser autour d'un rêve dans lequel transparence et responsabilité d'une nouvelle oligarchie tiendraient lieu de débat démocratique et de prise en charge des souffrances citoyenne alimentée par la crise sociale. C'est ce qui transparaît dans le succès relatif mais incontestable de mouvements d'extrême droite comme le Front National exaltant la culture « du chef » ou à gauche par le succès lui aussi relatif du « Cesarisme » républicain des insoumis, dans lequel un leader charismatique doit d'abord tenter la conquête du pouvoir avant de prétendre le remettre au peuple.
Dans un ouvrage qui vient de paraître 1 je pense avoir montré à suffisance comment il y a plus de soixante dix ans la fin de la deuxième guerre mondiale, a été le déclencheur d'une évolution du système social conditionné par la concurrence généralisée et l'oubli quasi général des cultures et des besoins des populations. C'est un processus dans lequel les corps constitués et les partis politiques ont en vérité eu très peu d'influence quelle que soit leur obédience, tandis qu'une oligarchie économique œuvrait à développer ses intérêts dans un système basé sur un développement illimité , sur une planète de dimensions, de viabilité et de ressources limitées.
Ceci n'a évidemment pas empêché les ambitions humaines et les jeux de pouvoir en France, à l'ombre propice qui soustrait à notre regard les exigences et les contraintes d'un système politique et économique bâti à l'intention d'une minorité.
Comme je l'ai développé dans l'ouvrage déjà cité, Il y a eu une période dans laquelle la prospérité du commerce dans le territoire européen alimentait les caisses de l'état. Cette situation a changé lorsque en 1945, l'industrie Nord Américaine a franchi l'Atlantique et mobilisé ses lobbies, sous la nécessité d'élargir son territoire commercial pour maintenir en période de paix un niveau d'activité comparable à celui développé en temps de guerre.
Ils ont dans un premier temps fait échouer la ratification de la charte de la Havane pourtant signée à l'ONU à la quasi unanimité en 1946. A démarré un long processus pour faire accepter en 1995 par la plus grande majorité des états de l'ONU la création de l'OMC. Ainsi est né le libre échange international obligatoire, abattant du même coup les barrières frontalières qui assurait une protection des états les plus faibles contre les l'invasion des entreprises multinationales. Les états, jusque là alliés aux marchands dans la création et l'utilisation des richesses créées sont alors devenus leurs concurrents, les uns ayant besoin de crédits pour assister le service général du fonctionnement d'une communauté, les autres recherchant l'utilisation de la richesse créée pour assurer leur retour sur investissement et financer leur propre développement.
Ce néolibéralisme importé d'outre atlantique, et désormais répandu dans tout le monde industrialisé s'oppose, dans le monde politique à la conception européenne d'une société dans laquelle l'état responsable de l'ordre public doit aussi assurer au citoyen un « contrat social » prenant en compte une notion d'intérêt général et de services publics. Cette conception « sociale » de la communauté en concurrence avec la conception « libérale » est combattue par ses adversaires prétendant qu'elle est un obstacle au développement de l'économie mais elle assure par ailleurs le sentiment qu'elle saura mieux protéger les citoyens contre les aléas des décisions économiques : d'ou le développement d'une conception « social libérale » de la politique ou des conceptions socialistes protégeraient les citoyens des excès des politiques « libérales ».
… d'où l'intérêt de mettre des responsables avec une étiquette « socialiste » à la tête de grandes institutions ou elles couvriront des politiques parfaitement libérales. Les exemples ne sont pas rares :
A la tête de l'OMC, on a vu Pascal Lamy, socialiste français, de 2005 à 2013.
A la tête du FMI, il y a eu Dominique Strauss Khan, par ailleurs candidat pressenti en 2011 pour participer aux primaires socialistes de l'élection présidentielle 2012, avant d'être remplacé par François Hollande qui appartenait au même courant socialiste que Strauss Khan dans le PS.
Le Président du parlement européen aujourd'hui pressenti pour devenir le président de la commission européenne est Martin Schulz, social démocrate européen.
L'élection française de 2017 semble avoir mi fin à cette illusion d'une collaboration droite-gauche dans laquelle la gauche serait un élément modérateur d'une droite ultra-libérale , hypothèse encore à confirmer avec le résultat prochain des législatives :
La gauche française a éclatée sous la gestion éclairée du quinquennat Hollande dont il est de plus en plus difficile de penser que ce n'était pas délibéré : l'Union de la gauche née en 1972 comme instrument alternatif de pouvoir pour Mitterrand et morte en 1983 pour permettre à icelui de le garder avait créé une faille sans cesse élargie entre les socio démocrates sincères et les libéraux convertis ou si l'on préfère entre la gauche et la droite du PS qui devait un jour ou l'autre mener à l'explosion.
La droite est en passe de subir le même sort en raison entre autres de la gestion malheureuse de Sarkozy ou des costards de Fillon mais a peut-être plus de chance de se remettre car elle va continuer, une fois les problèmes d'ego stabilisés à être soutenu par une partir de l'establishment qui y a ses intérêts.
Le cas Macron, cet objet politique que les média ont si mal identifié, et qui a fini par conquérir le titre présidentiel me semble très représentatif de ce coup d'état que j'annonce dans le titre :
Jusqu'a cet instant particulier de notre histoire, les monarques républicains élus, de de Gaulle à Chirac et même encore Sarkozy et Hollande se présentaient comme gardiens d'un royaume citoyen, protecteurs des droits et représentants des peuples dans leur intérêt général. C'était de l'enfumage bien sur, mais dans un cadre républicain qui garantissait néanmoins quelques contrôles démocratiques.
Je ne veut pas prétendre que mr Macron a des visées ou des intentions qui ne seraient pas démocratiques : J' ai simplement entendu dans sa campagne son soutien aux politiques européennes dont la démocratie toute particulière repose sur les intérêts des groupes d'intérêt et pas sur celui des peuples et il assume parfaitement le fait qu'il place dans ses priorités les critères de la compétition et de la réussite économique au dessus de celui de la revendication des peuples.
Il soutient les traités de libre échange et pense compléter par ordonnance une loi travail rejetée par l'ensemble de l'opinion, acquise à coup de 49-3. En bref, la même politique cinq ans de plus, ou encore plus de dérégulation ?
On connait encore mal les contours pas tous publics du soutien qu'il a des milieux financiers, industriels et des faiseurs d'opinion nombreux et variés au delà de la vague qui suit toujours la victoire. Je constate simplement qu'un représentant d'une oligarchie jusqu'alors peu respectueuse des besoins des peuples est désormais ouvertement (car il l'assume) au pouvoir suprème en France.On ne sait pas encore quel sort réserveront à notre apprenti Napoléon les élections législatives.
Face aux oppositions qu'il va rencontrer, y aura-t-il un 18 brumaire ?
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1) Le rasoir d'Ockham, balade citoyenne dans l'histoire de l'après guerre, aux éditions Edilivre, Claude Layalle, 2017