On peut s'interroger sur les influences qui au fil du temps ont dilué l'esprit des lumières dans un néolibéralisme axé sur une liberté de l'individu et du groupe : Cette liberté qui s'impose à toutes les autres constitue comme l'indiquait déjà Tocqueville au XIXe siècle la pire des dictatures sans qu'il y ait nécessairement un dictateur.
Dans le cadre de ce débat, évidemment amplifié par la façon indigne dont l'UE prétend traiter le sort de la Grèce, il m'est apparu nécessaire de porter un regard pas trop partisan (quoi-que...) sur la nature et les hiérarchies des pouvoirs et influences qui guident le monde et plus particulièrement cette entité bizarre de l'UE laquelle ignore systématiquement les aspirations à la démocratie de ses quatre cent cinquante millions de citoyens.
Quel est donc cet ennemi qu'il nous faudrait combattre ?
La trilatérale, Bilderberg, plus modestement le cercle parisien sont des endroits ou les happy few et faiseurs d'opinion se rencontrent, échangent des idées, parfois construisent des alliances mais ne sont des centres de pouvoir qu'occasionnellement: Il n'y a pas de chef d'orchestre clandestin, et les illuminatis sont des constructions plus ou moins romantiques parfois encore aujourd'hui matérialisées sous des formes sectaires. Je pense que ces lieux, bien réels, ne sont que l'écume des choses.
Par contre, comme Susan Georges mais aussi beaucoup d'autres l'expliquent sous des formes diverses, le monde s'est organisé en sphères concentriques, un système dont la sphère supérieure, la sphère économique entoure et étouffe toutes les autres, y compris et on commence à s'en rendre compte la biosphère qui est bien la seule réalité biologique dans cette construction systémique artificielle.
Tout en bas, la nature fait ce qu'elle peut, un processus biologique avec une certaine faculté de récupération que l'activité humaine met désormais en grave danger, puis il y a une sphère qu'on pourrait qualifier de productive que nous habitons et qui est structurée par le travail des humains produisant ce que nous, homo sapiens sapiens considérons comme nécessaire à une vie intelligente et organisée. Il y a enfin au dessus une sphère qu'on pourrait qualifier d'organisatrice qui, dans la forme capitaliste développée depuis le XVIIe siècle est la sphère économique et financière : les marchés et les entreprises mondialisées organisent l'activité humaine en captant et en répartissant les richesses produites suivant des règles qui ont de moins en moins à voir avec les besoins réels de la biosphère et des humains qui l'habitent.
Je m'excuse d'avance de cette présentation en écologie et économie "de cuisine", le moyen le plus rapide que j'ai trouvé pour arriver au point ou je pourrai répondre à la question posée au départ.
Nous, les "damnés de la terre" pour parler comme Frantz Fanon, sommes devenus les colonisés de l'intérieur de la sphère financière ainsi que sont en train de le découvrir nos amis Grecs. Nous sommes en résistance contre des ennemis de la sphère "d'en haut" qu'il faut identifier, localiser et finalement combattre jusque sur leur propre terrain à défaut de pouvoir réaliser le désir de certains d'une révolution qui permettrait de tout réorganiser.
Notre colère est légitime, la sincérité de ceux qui assument cette résistance est indéniable même quand elle est animée par quelques ambitions politiques ou personnelles. Ce qui nous manque peut-être c'est le sens de l'organisation qui permet à nos adversaires , le 1% d'individus qui nous tiennent sous leur domination de maintenir cette domination malgré la course vers le mur ou ils nous précipitent.
Le monde économique et financier est structuré mondialement en entreprises transnationales et en conglomérats financiers apatrides qui font fi des frontières politiques.
Le réseau bancaire mondial constitue en lui même un lobby dont les éléments naturels sont tellement imbriqués qu'ils ont construit leurs propres structures de régulation et d'organisation ayant peu à voir avec la démocratie même quand des représentants politiques y sont représentés. Pour ne citer que deux exemples, le marché monétaire est géré à la City de Londres sous couvert du LIBOR de la BBA ou de l'EURIBOR de la FBE, des constructions privées totalement artificielles. Des banques privées y définissent entre elles les taux d'intérêts mondiaux tandis que le semblant de régulation prudentielle qui n’empêche pas les crises mondiales ni la spéculation incontrôlable (Bâle 1, 2, 3 ...) est du ressort de la BRI, société anonyme dont les actionnaires sont les banques centrales elles-même indépendantes des états.
Les entreprises transnationales, si elles sont parfois d'une taille supérieure à celle de bien des états sont en concurrence permanente ne serais-ce qu'au niveau d'un actionnariat qui va de l'une à l'autre au gré des valeurs boursières : Pour cette raison, elles n'ont pas en propre de projet politique complet mais elles ont en commun cette volonté de maintenir un système qui assure leur domination. Au delà de toute concurrence, elles n'hésitent pas depuis plus d'un siècle à créer entre elles selon leurs besoins des structures et des groupes de travail dans lesquels elles engagent et financent des dizaines de cadres supérieurs et de personnel pour encadrer pendant plusieurs dizaines d'années des événements et accords politiques importants. C'est vrai pour les entreprises industrielles comme pour ce qu'on appelle aujourd'hui l'industrie financière, la finance constituant désormais en elle-même une activité dominante à part entière dans le schéma mondial.
Des exemples : Amcham ( Chambre de Commerce Américaine , centenaire), ERT (European Round Table of Industrialists, 43 ans) TABD (Trans-Atlantic Business Dialogue, 20 ans), CERT (Canada Europe Round Table for Business, de 1999 et pour la durée de CETA si ratifié), TABC (TransAtlantic Business Council, créé en 2013 et pour la durée de TAFTA si ratifié) ...
Ce sont ces organismes, qui ont pignon sur rue, les moyens de plusieurs dizaines de multinationales et des programmes de travail (sur internet) qui préfigurent les décisions politiques qu'ils encadrent qui sont nos véritables adversaires. Ce sont les lobbys les plus puissants de la planète et suivant une pratique inscrite dans la constitution américaine mais réalisée de plus en plus ouvertement dans l'UE, ces lobbys sont directement associés aux décisions dont les politiques et les fonctionnaires ne sont plus que des intermédiaires.
Voilà pourquoi les politiques ne sont pas nos véritables adversaires : élus par nous ou pas élus du tout mais contrôlés par d'autres, ce sont ces autres qu'il nous faut désarmer, et reprendre le contrôle des politiques : ceci s'appelle la démocratie que nous devons revendiquer en commençant par dénoncer, chaque fois que c'est possible nommément les lobbys à l’œuvre derrière les décisions.