Les « grandes lois scolaires » sont davantage des ‘’lois-principes’’ (qui affirment des ‘’principes’’, des ‘’orientations’’ ) que des ‘’lois-réformes’’ (qui réforment directement des dispositifs et/ou des pratiques en usage).
Si l’on excepte un certain nombre de lois scolaires circonscrites et circonstanciées, relativement peu nombreuses (cf mon billet du 20 décembre), la plupart des « grandes lois scolaires » (celles qui ‘’balaient’’ un champ assez vaste) sont davantage des ‘’lois–principes’’ que des ‘’lois–réformes’’. Cela tient foncièrement au fait que les questions éducatives relèvent certes toujours peu ou prou de choix politiques au sens large du terme, mais de choix qui ne recoupent pas nécessairement ( loin s’en faut assez souvent ) les clivages entre les différents regroupements d’élus parlementaires. Il est difficile de regrouper son ‘’camp’’ sur des ‘’dénominateurs communs’’ nombreux, ‘’concrets’’ et précis ; mais c’est davantage possible (et utile pour donner du sens) de le rassembler sur des ‘’ principes’’ » et/ou des ‘’orientations’’.
Cette difficulté existe depuis longtemps. On peut en prendre pour exemple la longue, délicate et difficile gestation des ‘’grandes lois scolaires’’ qui ont fondé l’Ecole républicaine et laïque. Les républicains qui sont désormais au pouvoir ne sont unanimes ni sur les objectifs ni sur la méthode. La commission nommée par la Chambre des députés de 1877, et son rapporteur Paul Bert envisagent certes une loi d’ensemble (un certain Barodet ayant même déposé un projet de loi unique assez détaillé). Mais finalement , pour surmonter les divisions plus ou moins explicites entre républicains, ce sont trois lois sur l’enseignement primaire qui sont successivement votées (et peu précises sur certains points ‘’concrets’’ particulièrement controversés) : la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité, la loi du 28 mars 1882 sur l’obligation et la laïcité, la loi du 30 octobre 1886 (dite loi organique du primaire) sur la laïcisation des maîtres de l’enseignement primaire public.
Pour ce qui concerne un autre moment ‘’refondateur’’ de l’Ecole en France (à savoir le moment ‘’gaullien’’ de 1959 à 1969), on remarquera que de très importantes modifications ne sont pas passées par la voie législative, en particulier la décision de prolonger la fin de la scolarité obligatoire de 14 ans à 16 ans ( prise par Ordonnance le 6 janvier 1959 ) et la création du CES (collège d’enseignement secondaire) destiné à accueillir désormais (de la sixième à la troisième) tous les élèves entre l’âge de 11-12 ans et l’âge de 15-16 ans ( une création décidée par simples décrets le 3 août 1963).
Le vote le 31 décembre 1959 de la loi dite Debré (qui change la donne des écoles privées en France en permettant aux établissements privés de signer des contrats ‘’simples’’ ou d’ ’’association’’ avec l’Etat) , vaut que l’on s’y arrête car elle est passée ‘’en force’’ (sous la menace d’une ‘’dissolution’’) et aussi dans une certaine imprécision permettant des interprétations à géométrie variable. Quelques jours auparavant, lors d’un Conseil des ministres exceptionnellement très animé, le président de la République Charles de Gaulle avait conclu : « Si le gouvernement ne peut se mettre d’accord, il faut en changer ; si le Parlement n’accepte pas une situation de bon sens, il faudra le dissoudre ». Et un expert en la matière, Bernard Toulemonde (ex-professeur de droit et ex-directeur des enseignements scolaires) a pu souligner au colloque d’Amiens de décembre 1999 sur la loi Debré que cette loi « comporte- suprême habileté !- des notions ambiguës au contenu indéfini [notamment ‘’caractère propre’’ et ‘’besoin scolaire reconnu’’] ».
Si l’on en vient (il faut bien choisir) aux deux lois d’ « orientation » qui ont précédé celle qui sera certainement votée au printemps prochain, on peut remarquer que l’essentiel de l’ « orientation » (pour ces deux lois) est moins dans le corps même de la loi que dans ses ‘’annexes’’ qui lui donnent sens.
On se souvient que l’article 1 de la loi de 1989 ( « le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants ») a été explicité dans le rapport annexé et popularisé sous l’aphorisme « l’élève au centre du système éducatif ».
On se souvient sans doute aussi qu’en ce qui concerne la « loi d’orientation et de programme » de 2005, et par delà quelques choix (notamment celui du « socle commun de connaissances et de compétences », mais qui n’aura vraiment une certaine consistance – controversée - que dans le décret d’application du 11 juillet 2006), c’était aussi le rapport annexé qui indiquait clairement un certain nombre d’objectifs (et d’engagements financiers, d’où la qualification initiale de ''loi de programme"), même si le Conseil constitutionnel a finalement invalidé l’article 7 (sur les missions de l’Ecole en raison soi-disant de son « évidence ») et l’article 12 (qui prétendait donner force de loi au rapport annexé).
Dans la « Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole de la République » qui devrait être votée au printemps prochain, le plus ‘’important’’ ( à savoir l’esprit de la « refondation » qui doit « faire sens ») sera affirmé et explicité essentiellement dans le rapport annexé. L’ambition de ses rédacteurs, et au premier chef de Vincent Peillon, est que ce texte fasse date, comme a pu le faire en son temps – à sa façon et selon ses raisons – le texte de la loi d’ « orientation » de 1989 portée par Lionel Jospin.
Avec une différence cependant qui a son importance : c’est que cette nouvelle loi sera aussi une loi de « programmation » (une ‘’première’’) dont on connaît déjà les priorités quant aux choix de l’affectation des 60000 postes supplémentaires promis pour la durée du quinquennat. Sur les 54000 postes qui seront créés dans l’Education nationale ( 5000 le seront dans le supérieur et 1000 dans l’agriculture), il est prévu que pas moins de la moitié ira à la formation des enseignants ( 26000 postes d’enseignants stagiaires et 1000 postes de formateurs) : un effort sans précédent et un choix capital. La priorité à l’école primaire est, elle aussi, très clairement affirmée dans la programmation prévue (en même temps que le souci de porter une attention privilégiée aux élèves ‘’fragiles’’). L’enseignement primaire bénéficiera en effet de 14000 postes supplémentaires d’ici 2017 (dont 3000 consacrés à la scolarisation des moins de 3 ans dans les zones ‘’difficiles’’ ou rurales, et 7000 maîtres ‘’surnuméraires’’ pour instaurer une prise en charge différente de la difficulté scolaire). L’enseignement secondaire n’aura que 7000 postes supplémentaires (qui devraient aller surtout aux collèges, dans des établissements ‘’sensibles’’). Sans compter 6000 postes supplémentaires dans les domaines éducatifs, administratifs, sociaux ou de la santé.
Billet de blog 2 janvier 2013
Loi d'orientation: pour quoi?
Les « grandes lois scolaires » sont davantage des ‘’lois-principes’’ (qui affirment des ‘’principes’’, des ‘’orientations’’ ) que des ‘’lois-réformes’’ (qui réforment directement des dispositifs et/ou des pratiques en usage).
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