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Billet de blog 2 mars 2023

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Des antécédents historiques à un SNU devenu obligatoire ?

Des rumeurs persistantes semblent indiquer que le « service national universel » qui concerne actuellement dans les faits moins que l’objectif affiché de 50 000 jeunes par an deviendrait obligatoire pour tous dans une formule ramassée mais tangible. Une innovation sans précédent ?

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Dans un article publié le 27 février, Politis indique avoir eu accès à une note interne au ministère de l’Éducation nationale qui indiquerait que « le SNU se compose d’un séjour de cohésion obligatoire de 12 jours qui s’effectue en-dehors de son département/de sa région de résidence ». Les jeunes seraient soumis au rythme intensif du format actuel du service national universel. « Uniforme, levée du drapeau le matin et chant de la Marseillaise » resteraient au menu du SNU format obligatoire. Selon Politis « plusieurs modules seraient imposés sur des enjeux liés à la défense, à la sécurité intérieure, à la mémoire, à la transmission des ‘‘valeurs de la République’‘». Les encadrants seraient des personnels de l’Éducation nationale et des militaires à la retraite.

On pense immédiatement à la période ferryste, même si cet antécédent , in fine, peut s’avérer beaucoup moins évident qu’on ne le croit et finir dans un sens qui donne à réfléchir. Le décret du 6 juillet 1882 instaure les ‘‘bataillons scolaires“. Signe de son importance, ce décret est signé par Jules Grévy (président de la République), Jules Ferry (ministre de l'Instruction publique et président du Conseil des ministres), René Goblet (ministre de l'Intérieur), et Jean-Baptiste Billot (ministre de la Guerre). L'organisation de ces bataillons dépendra toujours conjointement de l'Instruction publique et de la Guerre.

Discours de Jules Ferry en juin 1882 : « La gymnastique est inséparable de l'éducation militaire ; celle-ci est le but, l'autre le moyen […] Nous croyons que l'éducation militaire ne pénétrera complétement dans nos mœurs scolaires qu'après que l'instituteur sera devenu lui-même un professeur d'exercices militaires ». L'article premier de la loi scolaire de mars 1882 (initiée par Jules Ferry) inclut les exercices militaires dans les matières obligatoires pour les garçons.

On pense que cette inculcation patriotique sera d'autant plus efficace qu'elle se réalise non par des discours raisonnés, mais dans des comportements effectifs. Les plus jeunes enfants sont exercés à l'école, sous la direction de leur maître, aux exercices gymniques et aux maniements du fusil. On n'utilise certes pas des balles réelles, mais le souci de mimer la réalité au plus près est très présent : « En vue de donner satisfaction à diverses demandes, il a été décidé que les armes employées pourraient à l'avenir être munies d'épées-baïonnettes, sous la condition que ces épées auront leur pointe complètement arrondie. » (circulaire du 25 avril 1883 de Jean Thibaudin, ministre de la Guerre.)

Ces pratiques sont manifestement, à l’époque, l'objet d'un large consensus, aussi bien chez les enseignants que dans l'opinion publique. Mais cette ferveur patriotique militarisée retombe assez vite, d'autant que les dirigeants républicains s'aperçoivent qu'elle est susceptible de contribuer à l'exaltation d'un nationalisme militariste qui peut s'avérer dangereux pour la pérennité du nouveau régime républicain lui-même, comme le montre le succès du général Boulanger dès la fin des années 1880.

On peut songer aussi aux antécédents possibles durant la période pétainiste, en particulier celui des ‘‘Chantiers de jeunesse’‘. Un service civil obligatoire est institué par la loi du 30 juillet 1940 puis par celle du 18 janvier 1941.

Dorénavant, chaque citoyen masculin français de 20 ans, résidant en zone libre, a l’obligation d’effectuer un stage de huit mois dans les Chantiers. Selon l’instruction du secrétariat à la Guerre du 28 juillet 1940: « ces jeunes accompliront un service civil qui permettra d’assurer leur cohésion morale par la vie en commun, leur développement physique par des exercices sportifs, enfin des travaux d’intérêt général ». Les Chantiers ont pour fonction de former les jeunes aux valeurs pétainistes par l’instauration de conditions de vie et d’activités chargées d’accélérer ce processus d’intériorisation idéologique. Le brassage social appliqué au sein de l’équipe vise à rapprocher et à mélanger des jeunes venant d’horizons différents. Cela implique aussi la mise en place d’une hiérarchie et d’une discipline stricte comme l’ordonne le commissaire général : « Il est absolument décidé à obtenir partout l’ordre, la discipline et la tenue » (Bulletin officiel des Chantiers de jeunesse du 5 juin 1941)

Il est tout à fait significatif que le célèbre Plan Langevin-Wallon de 1947 conçu et rédigé dans le contexte de la Libération rompe avec cette orientation idéologique en développant certes aussi que c’est par des pratiques et des expériences effectives et non pas seulement par des cours et des discours que l’on peut assurer une véritable éducation civique, mais dans une toute autre option idéologique qui ne met nullement en valeur quelque nationalisme que ce soit, et encore moins quelque subordination que ce soit.

« L.'éducation morale et civique n'aura sa pleine efficacité que si l'influence de l'enseignement proprement dit se complète par l'entraînement à l'action. Le respect de la personne et des droits d'autrui, le sens de l'intérêt général, le consentement à la règle, l'esprit d'initiative, le goût des responsabilités ne se peuvent acquérir que par la pratique de la vie sociale. L'école offre aux enfants et aux adolescents une société à leur mesure, où ils vivent au milieu de leurs pairs. L'école devra donc s'organiser pour leur permettre de multiplier leurs expériences, en leur donnant une part de plus en plus grande de liberté et de responsabilité, dans le travail de la classe comme dans les occupations de loisir  [….] Chaque citoyen, en régime démocratique, est placé dans la vie professionnelle, en face d'une double responsabilité : responsabilité du dirigeant, responsabilité de l'exécutant. Il sera donc nécessaire que les activités scolaires s'organisent de telle sorte que tous aient alternativement des responsabilités de direction et d'exécution .Il importe en effet d'éviter de cultiver en certains l'absolutisme du chef prédestiné et en d'autres l'habitude paresseuse d'une aveugle soumission »

Eh bien, il faut le dire, soixante-quinze ans après , « éviter de cultiver en certains l'absolutisme du chef prédestiné et en d'autres l'habitude paresseuse d'une aveugle soumission’‘  devrait apparaître (plus que jamais ?) ''à l'ordre du jour''.

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