Le ministère vient de retirer soudainement des sites officiels les documents d’accompagnement des programmes de 2002, dont – entre autres – un document élaboré dans le cadre de la ‘’main à la pâte’’ initiée par le prix Nobel Georges Charpak. C’est sans précédent dans la forme et sur le fond.
Selon Gilles Moindrot ( le secrétaire général du SNUipp, le principal syndicat d’enseignants du primaire ), " interdire l’utilisation et la publication d’un tel document, conçu pour favoriser l’enseignement des sciences à l’école primaire témoigne d’un obscurantisme que l’on croyait révolu ". Il juge la décision ministérielle " affligeante " et " condamne vivement cette attitude qui va à l’encontre de la liberté pédagogique " proclamée par ailleurs, notamment dans le texte des " nouveaux programmes du primaire " de 2008 qui sont censés " ne fixer que des objectifs " ( ce qui implique, en principe, que ces documents peuvent rester intéressants sur le plan pédagogique ). Ce retrait, ajoute-t-il, relève donc à l’évidence d’une " vision idéologique ", et il déplore " que les efforts produits par les formateurs en faveur d’une évolution pédagogique soient bannis du ministère sous la pression de lobbys qui considèrent qu’il n’est pas besoin d’être pédagogue pour enseigner ".
A ce sujet, il serait bon de se rappeler que sur les 30 propositions concernant les enseignements scolaires, la " liberté pédagogique " apparaissait en deuxième position dans le dernier programme législatif de l’UMP, signe de l’importance qui lui est en principe accordée : " Garantir la liberté pédagogique des enseignants en les évaluant sur les progrès des élèves et non pas sur les méthodes utilisées ".
Et, l’on se souvient sans doute que, au cours de la campagne pour les présidentielles, Nicolas Sarkozy a commenté cette position de principe on ne peut plus clairement : " Nous refusons d’entrer dans la question de savoir si c’est par des méthodes répétitives, participatives, ludiques ou autres que les enfants apprennent le mieux. Nous pensons que chaque enfant est différent et que les personnes les mieux placées pour savoir ce qui est bon pour lui sont ses enseignants et sa famille. C’est pourquoi nous garantirons la liberté pédagogique des enseignants. Nous évaluerons les enseignants sur les progrès de leurs élèves et non pas sur les méthodes utilisées "…
A vrai dire, les gages de plus en plus patents donnés par Xavier Darcos aux lobbys conservateurs voire réactionnaires ‘’anti-pédagogistes’’ ( auto-proclamés parfois abusivement ‘’républicains’’ ) vont à l’encontre de la grande tradition de l’Ecole républicaine initiée par Jules Ferry lui-même et les siens ( qui ont multiplié les bibliothèques pédagogiques, les références aux questions pédagogiques et aux grands pédagogues, et même institués des congrès pédagogiques d’instituteurs ou d’inspecteurs primaires où ils tenaient à intervenir personnellement ). Une seule citation ( parmi bien d’autres possibles ) de Jules Ferry lui-même au congrès du 2 avril 1880 où l’on avait réuni les directeurs et directrices d’école normale primaire et les inspecteurs primaires : " Nous voulons des éducateurs ! Eh quoi ! Est-ce donc là être trop ambitieux ? Est-ce un rêve que nous faisons là ? Et vous allez voir que ce n’est pas vrai. Je n’en veux pour preuve que la direction actuelle de la pédagogie, que les méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement ; ces méthodes qui consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à lui faire trouver ; qui se posent avant tout d’exciter et d’éveiller la spontanéité de l’enfant, pour en diriger le développement normal, au lien de l’emprisonner dans des règles toutes faites auxquelles il n’entend rien, au lieu de l’enfermer dans des formules dont il ne retire que de l’ennui, et qui n’aboutissent qu’à jeter dans ces petites têtes des idées vagues et pesantes ; ces méthodes, qui sont celle de Froebel et de Pestalozzi [ deux grands pédagogues , l’un allemand et l’autre suisse ], ne sont praticables qu’à une condition : à savoir que le maître, le professeur, entrera en communication intime et constante avec l’élève ".
On peut citer aussi le ministre de l’Education nationale très gaullien Alain Peyrefitte, en février 1968, au moment où la prolongation de la scolarité obligatoire ( dont il a été décidé en 1959 que la fin serait portée de 14 ans à 16 ans révolus ) devient effective, et où commence ce que l’on appellera plus tard la " massification de l’enseignement secondaire " : " La réforme de l’enseignement engagée depuis 1959 a profondément modifié les cadres de l’organisation scolaire, le contenant ( la miseen place du collège d’enseignement secondaire, à partir de 1963 ). Pour donner tout son sens à cette œuvre, il faut s’occuper du contenu. Les méthodes pédagogiques n’ont guère évolué depuis le siècle dernier. Rien n’est plus difficile que de faire changer les esprits et les méthodes. Or la démocratisation amène dans l’enseignement secondaire des enfants culturellement défavorisés ; ils ne sont donc pas justiciables des méthodes qui réussissent auprès des enfants culturellement favorisés. La concurrence de la vie - cinéma, télévision, bandes dessinées – soumet le pédagogue à rude épreuve. Il y a tout un rejet de la vie scolaire telle qu’elle est aujourd’hui ".
Mais il s’agissait, on l’a compris, pour l’un ( Jules Ferry ) d’instituer dans de bonnes ( et nouvelles ) conditions la scolarité obligatoire et, pour l’autre ( Alain Peyrefitte, sous la houlette du général de Gaulle ) d’assurer la prolongation de la scolarité dans de bonnes ( et nouvelles ) conditions. La question pédagogique était donc posée non en terme de rejet ( voire de mépris ), mais comme une question essentielle pour qu’une ambition nouvelle puisse avoir des chances de réussir. Le renoncement ministériel actuel aux problématiques pédagogiques nouvelles signe en fait le renoncement à toute grande ambition pour l’Ecole républicaine ( voire son effacement et sa perdition ). Les questions pédagogiques et celles de la formation des enseignants ne sont pas seulement des questions techniques : elles ont des enjeux éminemment politiques et concernent ( devraient concerner ) tout le monde.