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Billet de blog 2 octobre 2018

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«Les racines et les ailes» du fervent latiniste Blanquer

Par Toutatis! L'activisme gallo-romain de Blanquer est un grand prodige! Face à la bronca suscitée par la place dévolue au latin et au grec dans la réforme du lycée et du bac, Blanquer donne des gages, mais qui relèvent plus du cabotage ou du cabotinage que du grand voyage historique du classique.

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Au XIXième siècle, c'est Napoléon I qui a réintroduit la dominance de l'enseignement classique pour l'élite masculine après l'expérience des Ecoles centrales (de type ''encyclopédique'') créées durant la Révolution française. Il s'agit avant tout de donner de bons modèles éducatifs, d'avoir de ''bonnes fréquentations'' (attestées et sélectionnées par le temps), bien plus que des ''connaissances'' au sens factuel et/ou langagier. On recourt à une Antiquité de morceaux choisis ( les ''selectae'') que l'on '' fréquente'' assidûment par le biais de longs exercices de traduction. La pédagogie du ''modèle'' et des ''trésors littéraires'' règne en maître. Ce n'est nullement la maîtrise et la bonne compréhension du français qui sont visées.

Au début de la troisième République se met en place une inflexion importante (qui n'est pas sans rapport avec le mot d'ordre qui apparait aussi à ce moment-là dans l'enseignement primaire: "apprendre à apprendre"). On peut citer en particulier à ce sujet l'un des grands idéologues de l'Ecole républicaine, Michel Bréal : «le profit inestimable qui réside dans l’étude d’une langue morte, c’est qu’elle dépayse l’esprit et l’oblige à entrer dans une autre manière de penser et de parler. Chaque construction, chaque règle grammaticale qui s’éloigne de l’usage de notre langue, doit être pour l’élève une occasion de réfléchir. La tâche du maître n’est donc pas d’écarter les difficultés de la route, mais seulement de les disposer de façon méthodique et graduée. Il ne s’agit pas d’abréger le chemin, car c’est le chemin qui est en quelque sorte la fin qu’on se propose ».

La vraie question n’est pas la maîtrise effective du latin (ou du grec) par les bacheliers, mais de s'assurer qu''ils ont exercé leur intelligence et progressé dans la démarche méthodique. Ce qui compte, ce n’est pas le résultat en termes de ‘’connaissances’’ (savoir le latin, du latin), mais le parcours (le bon chemin, « methodos »  en grec ). Et cette conception débouchera finalement sur une formule promise à un grand succès, celle attribuée à Edouard Herriot dans l’entre-deux–guerres : « la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et à l'affirmation concomitante qu' « il n'y a nul besoin de connaître le latin : il suffit de l'avoir appris ».

A reprendre ce qui a été soutenu par Jean-Michel Blanquer lors de son interview dans le ''JDD'' de dimanche dernier, on mesure l'applatissement de l'ambition culturelle envisagée par le ministre de l'Education nationale actuel en regard de l'historique du classique. C'est du bricolage (sur le plan opérationel) mal masqué par le ''forçage'' des formules. Il en ''fait des tonnes''! Mais cela ne peut abuser que des non initiés, non pas les intéressés eux-mêmes.

Florilège de ''morceaux choisis'' de l'interview: "Ce qui se joue avec les langues anciennes, c'est notre capacité à avoir des racines et des ailes [bravo la reprise du titre d'une émission de télévision]. Le latin et le grec sont la sève de notre langue. Nous devons les cultiver, et les considérer non pas comme des langues mortes, mais comme l'essence vitale de notre langue. C'est un enjeu majeur de civilisation [...]. Cela commence dès l'école primaire: ma première priorité repose beaucoup sur le vocabulaire, donc l'étymologie [...]. Je suis le défenseur absolu des langues anciennes [...]. Les enjeux de civisme et de laïcité ont évidemment des racines grecques et latines [sic]. Les langues anciennes sont une école du bonheur et du discernement [...]. J'ai des citations latines en tête selon les circonstances. Tel in medio stat virtus, ''au milieu se tient la vertu'', un adage très macronien [...]. Les adages latins nous parlent de la vie sur un mode éternel"

In fine, ce qui reste si l'on a tout oublié de l'interview, ce n'est pas la culture mais l'enflure.

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