L'enseignement de la lecture fait partie depuis plusieurs décennies de la trilogie des enseignements qui suscitent des passions en France, avec l'orthographe et l'histoire. Il est donc dans la zone des tempêtes politico-médiatiques de l'Ecole, et ses résultats comparés avec d'autres pays peuvent susciter un ''choc'' si la comparaison s'avère inquiétante
On remarquera que les deux autres "totems" français qui suscitent les passions, l'orthographe et l'histoire, ne font pas partie des évaluations de PISA ce qui diminue son potentiel "explosif" en France. Les résultats en mathématiques peuvent certes être un peu source de préoccupation (surtout l'enseignement du ''calcul'', mais le ''calcul mental'' n'est pas évalué par ''PISA'') dans les réactions habituelles en France. Enfin l'enseignement des langes vivantes ou des sciences (qui sont les deux autres ''matières'' évaluées par PISA ) ne suscitent aucune passion en France, loin s'en faut.
Le "choc" peut-il venir des inégalités de résultats selon les origines sociales dans la mesure où elles peuvent être plus fortes en France qu'ailleurs? Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est loin d'être évident si l'on s'en tient à ce qui a eu lieu dans le passé.
Dans l'enquête PISA de 2006, la France se trouvait déjà, pour les trois domaines étudiés, parmi les deux pays où l'écart était le plus grand entre les élèves dont le statut économique, social et culturel des parents est le plus élevé (le quart le plus favorisé) et ceux dont le statut économique, social et culturel est faible (le quart le moins favorisé). Les écarts allaient de 63 pour la Finlande à 122 pour la France (bonne dernière) pour ce qui concerne la culture scientifique. Ils allaient de 55 pour l'Islande à 112 pour la France (avant dernière, devant le Luxembourg) pour ce qui a trait à la compréhension de l'écrit. Ils allaient enfin de 62 pour l'Islande à 115 pour la France (avant-dernière, devant la Hongrie) en mathématiques. Une belle constance dans les écarts et les places, qui ne peut certainement pas être complètement due au hasard.
Pour PISA 2009, en mathématiques, les écarts de score entre les élèves les plus performants et les moins performants ont été, en France, très élevés. Ainsi, par exemple, le spectre de compétence entre le 5° centile (l’endroit de l’échelle PISA de culture de mathématique auquel se situent les 5% d’élèves les moins performants) et le 95° centile (le niveau de cette échelle que 5% des élèves les plus performants réussissent à atteindre ) était de 300 points en moyenne dans les pays de l’OCDE. Or il a atteignait 331 points en France (contre 270 points en Finlande).
En compréhension de l’écrit, par rapport à PISA 2000, la proportion d’élèves les plus performants avait légèrement augmenté en France, passant de 8,5% en 2000 à 9,6% en 2009. En revanche, la proportion d’élèves peu compétents en compréhension de l’écrit (en dessous du niveau 2 de compétence) était passée de 15,2% en 2000 à 19,8% en 2009. Les écarts entre élèves français en compréhension de l’écrit s'étaient donc accrus (par le "haut" et par le "bas").
Par ailleurs, alors que dans les pays de l’OCDE l’augmentation d’une unité de l’indice PISA de statut économique, social et culturel entraînait l’augmentation du score sur l’échelle de compréhension de l’écrit de 38 points, cette augmentation s’élevait à 51 points en France : les résultats des élèves en France étaient donc à l’évidence beaucoup plus sensibles aux différenciations socio-culturelles que ceux de la moyenne des pays de l’OCDE.
Il n'y a pas eu de "choc PISA", ni en 2006, ni en 2009. Ni non plus véritablement à la suite de PISA 2013 où les résultats ont été de la même eau (voire à certains égards encore plus marqués), en matière d'inégalités selon l'origine sociale (comparativement à d'autres pays)
Nous nous vantons volontiers d'être dans un pays où l'on aspire à l'égalité, voire même d'être à l'avant-garde en la matière. Mais, c'est loin d'être évident dans les faits, et de très longue date. Parmi les pays à peu près comparables au nôtre, nous avons été parmi les derniers à instaurer le droit de vote pour les femmes, et aussi parmi les derniers à mettre en place un impôt progressif sur le revenu. Et c'est aussi de longue date que nos enseignants du primaire sont parmi les plus mal payés d'Europe.
Comme l'a bien mis en évidence l'historien anglais Théodore Zeldin dans son Histoire des passions françaises, "En 1914, dans une enquête internationale, les enseignants du primaire en France furent classés comme les plus mal payés d'Europe, venant à la vingt-cinquième place, à égalité avec ceux du Monténégro".
Vive les bonnes vieilles traditions françaises! Vive les comparaisons internationales! Et bonne retraite à tous!