La réforme du lycée prétend revaloriser la filière ‘'L'' , la filière dite ‘'littéraire''. Mais cette revalorisation n'est pas située au cœur même de ce qui a été classiquement l'enseignement secondaire littéraire français, à savoir la littérature et les langues anciennes.
Les modifications présentées concernent en effet les langues vivantes ; et la nouvelle spécialité annoncée, " le droit et les grands enjeux du monde contemporain ". Contrairement à ce qui a eu lieu pour la suppression de l'enseignement de l'histoire en terminale S, cela n'a pas jusqu'ici semblé émouvoir grand monde ( cf, par exemple, le peu de succès de la pétition " Pour défendre l'enseignement du français ", parue récemment, durant plus d'une semaine, dans l'édition " Les invités de Médiapart " ).
On est donc actuellement très loin de la mobilisation effectuée il y a tout juste dix ans, à partir du cri d'alarme de Jacqueline de Romilly et Jean-Pierre Vernant. " Ce qui se prépare - disaient-ils - est bel et bien la fin des enseignements littéraires, du grec et du latin. C'est une responsabilité stupéfiante que d'éliminer ainsi des disciplines qui ont, depuis tant de siècles, paru essentielles. Alors que le ministre déclare souhaiter instaurer des filières littéraires fortes - ajoutaient-ils encore -, il est paradoxal de détruire au préalable les disciplines qui pourraient leur donner quelque consistance ". Que ne diraient-ils aujourd'hui !
Et pourtant, durant ces quinze dernières années, deux ministres de l'Education nationale ( et non des moindres ! ) se sont trouvé être des agrégés de lettres classiques. Comment se sont-ils comportés ?
Devenu ministre, l'agrégé de lettres classiques François Bayrou a décidé en 1996 d'anticiper d'un an la possibilité pour les élèves de choisir une option latine, dès l'entrée en cinquième ( alors qu'ils ne pouvaient le faire qu'en début de quatrième depuis la réforme Edgar Faure de 1969 ). Par ailleurs, il est affirmé dans les Instructions officielles de 1997 que " notre civilisation et notre langue héritent des cultures et des langues de l'Antiquité ; l'apprentissage des langues anciennes a donc pour but de retrouver et d'interpréter dans les textes les langues et les civilisations antiques, pour mieux comprendre et mieux maîtriser les nôtres dans leurs différences et leurs continuités ". A la rentrée 1996, plus du quart des élèves de cinquième choisissent l'option de deux heures de latin qui leur est offerte. On assiste à un léger redressement du taux de latinistes en quatrième et même en seconde. Mais cela ne dure pas. Et la tendance à la baisse reprend.
Dix ans plus tard, Xavier Darcos devient ministre de l'Education nationale au printemps 2007.Il est non seulement agrégé de lettres classiques, mais aussi docteur de troisième cycle en études latines et docteur d'Etat ès lettres. Il a été professeur de khâgne à Bordeaux puis au lycée Henri IV. C'est dire si c'est un fleuron particulièrement distingué de la filière classique. Xavier Darcos accorde donc, dès la rentrée 2007, une attention toute particulière au rapport de l'inspection générale sur la revalorisation de la série littéraire au lycée qui était paru en juillet 2006. " Les enjeux, dit-il - ne sont pas minces. Derrière le déclin de cette formation se profile une autre menace, celle de voir disparaître un pan essentiel de notre tradition et de notre culture. Or ce patrimoine représente une certaine vision du monde, un mode d'expression originale de l'expérience humaine ". Et le ministre annonce qu'il réfléchit à un baccalauréat commun aux différentes séries générales, avec options ; et qu'il compte s'attaquer au rééquilibrage des baccalauréats. Mais, ajoute-t-il " cela ne peut se faire sans qu'on en ait parlé très longtemps auparavant avec les collègues ". On connaît la suite.
Epilogue : Le jury du Capes de Lettres classiques vient d'adopter une motion ( 29 pour, 1 abstention, 6 non-participations au vote ). " Le jury ne peut accepter de voir les deux épreuves actuelles de version ( latine et grecque ) fondues en une seule épreuve ‘'fourre-tout'', dont personne ne peut raisonnablement prétendre qu'elle permettra de vérifier conjointement les aptitudes du candidat en version latine, en version grecque et en explication de texte latin ou grec. La solution adoptée pour maintenir le grec et le latin à l'écrit étant à la fois peu sérieuse et d'une invraisemblable complication, le jury demande instamment, au nom de la sauvegarde des humanités, la restauration de trois épreuves écrites et de trois épreuves orales pour le Capes externe de Lettres classiques ".