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Billet de blog 3 février 2025

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Raccourcir les vacances d’été : une fausse bonne idée ?

C’est ce qu’a proposé la nouvelle ministre de l’Education nationale Elisabeth Borne le 15 janvier dernier, avec semble-t-il le soutien réitéré dimanche dernier du président de la République Emmanuel Macron. Mais dans notre période de montée des températures, cela peut-il vraiment tenir la route ? Retour sur un historique significatif.

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Lors de la déclaration de politique générale au Sénat qu’Elisabeth Borne a faite au nom du Premier ministre François Bayrou le 14 janvier, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale a mentionné la volonté du Premier ministre de « lancer une grande concertation sur le temps scolaire », puis a confié le lendemain au quotidien Le Parisien que « la durée des vacances d’été ne changerait pas pour la rentrée 2025  mais que cela dépendrait, pour 2026, de l’issue des discussions ». Et Elisabeth Borne s’est prononcée nettement pour un raccourcissement en arguant que « les coupures longues se traduisent par des pertes de niveau pour les élèves les plus fragiles ».

Dimanche dernier, en déplacement à Colmar pour le 80 ème anniversaire de la libération de la ville, le Chef de l’Etat a relancé « la question que l’on peut se poser pour nos enfants : est-ce qu’il ne faut pas revoir les vacances pour pouvoir décontraindre les semaines pour mieux apprendre ? » Et il a évoqué "la date du 14 juillet". En août 2023 , Emmanuel Macron avait déjà envisagé publiquement de réduire les vacances d’été en estimant que leur durée actuelle entraînait des inégalités d’apprentissage.

Pour ce qui concerne les collèges et lycées, avant la IIIe République, les grandes vacances commençaient le 15 août et finissaient le 1er octobre. À partir de l’établissement de la IIIe République, elles vont débuter de plus en plus tôt dans l’année – et durer plus longtemps. En 1875, il est décidé qu’elles commenceront désormais le 9 août ; puis, à partir de 1891, le 1er août. En 1912, le début des grandes vacances est avancé au 14 juillet ; mais elles durent toujours jusqu’au 1er octobre. On est donc passé de 1874 à 1912, d’un mois et demi de grandes vacances à deux mois et demi, sans aucun été d’âme.

Pour ce qui concerne les écoles primaires, le cadre des vacances a été d’abord à « géométrie variable ». Le statut du 25 avril 1834 indique qu’elles « seront réglées par chaque Comité d’arrondissement pour toutes les Écoles de son ressort […], mais sans que la totalité excède six semaines ». L’arrêté du 18 janvier 1887 fixe la durée des vacances d’été à six semaines. Les dates sont déterminées par les préfets et varient localement, le plus souvent situées dans la période qui va de début août à début octobre.

En 1922, on y ajoute 15 jours et la pause estivale s’étend du 31 juillet au 30 septembre. Selon le ministre de l’Instruction publique « il n’est pas besoin d’insister sur la noble utilité du loisir et du repos, notamment dans la vie intellectuelle. Je vous affirme que l’instituteur et l’institutrice qui ont fait tout leur devoir pendant l’année scolaire – et l’immense majorité le fait- sont bien dignes d’avoir les deux mois de vacances que nous leur avons accordés.  Pourquoi leur avons-nous reconnu deux mois de vacances ? D’abord, parce que, en fait, ils les prenaient. Sous le prétexte de donner un congé supplémentaire de quinze jours à ceux qui organiseraient des cours d’adultes nous avion fini par élargir la conception du cours d’adultes. nous avons donc, en réalité, mis le droit d’accord avec le fait ».(Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés : compte rendu in-extenso, 09 décembre 1922, BNF – Gallica) »

En 1938, les grandes vacances du primaire sont alignées sur celles du secondaire et commencent désormais le 14 juillet, en se terminant néanmoins toujours le 30 septembre. Comme le relate l’ancien ministre de l’Éducation Jean Zay dans « Souvenirs et solitudes » : « Les éducateurs signalaient depuis longtemps que, dans la deuxième quinzaine de juillet, sous la canicule, le travail scolaire devenait nul ; on se bornait à somnoler sur les bancs et à soupirer en regardant les fenêtres.  »

En 1959, les grandes vacances sont déplacées dans leur ensemble de deux semaines : elles commencent plus tôt (le 1er juillet) et finissent plus tôt (vers la mi-septembre). Et on doit souligner que ce positionnement est tout fait heureux alors que nous nous trouvons face au défi du réchauffement climatique. Elles vont être ensuite diminuées petit à petit de deux semaines au profit de vacances intermédiaires et se terminer vers le 1er septembre.

La publication par Eurostat, l’organe statistique de la Commission européenne, de «l’organisation du temps scolaire en Europe 2022-2023», permet d’établir que les congés d’été sont plutôt plus courts en France par rapport aux autres pays du continent. Comme en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark ou en Norvège, la France ne dépasse pas les huit semaines de congés d’été. Ailleurs, en Europe, les vacances d’été sont plus longues. Huit à dix semaines en Europe centrale. Dix à douze semaines en Espagne et dans les Balkans. Plus de douze semaines en Italie, en Grèce, en Turquie. Et ces pays-là ne sont pas, pour la plupart (contrairement à la France), en queue du classement Pisa en ce qui concerne la question des inégalités de résultats en raison des origines socioculturelles. Ce constat est de nature à interroger la justification donnée par Elisabeth Borne, d’autant que, de toute façon, la remise en marche à l’issue d’une longue pause (qu’elle soit de six ou huit semaines) ne change certainement pas de nature.

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