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Billet de blog 3 novembre 2014

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Bayrou, l'illettrisme en bandoulière

Avec son goût prononcé pour l'amplification et l'approximation afin d'avoir ses aises au “centre du centre”, François Bayrou vient d'affirmer tout de go sur France Info que « les enfants n'apprennent pas à lire pour 30 à 40 % d'entre eux ».

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Avec son goût prononcé pour l'amplification et l'approximation afin d'avoir ses aises au “centre du centre”, François Bayrou vient d'affirmer tout de go sur France Info que « les enfants n'apprennent pas à lire pour 30 à 40 % d'entre eux ».

Et pourtant François Bayrou n'est pas un novice en la matière, loin s'en faut. Il a un passé et un passif . Son passé, c'est d'avoir été pendant plus de six ans (de 1987 à 1993) à la tête du « Groupe de lutte contre l'illettrisme » . Son passif, c'est son aveu d'échec après s'être vanté de réduire « l'illettrisme » de moitié en cinq ans alors qu'il était ministre de l'Education nationale

Le Bayrou vantard, dès le mois de mai 1993 (il vient d'être nommé ministre de l'Education nationale) : «il faut engager une politique ambitieuse pour réduire de moitié en cinq ans le nombre d'enfants – 30% actuellement- qui ne savent pas comment lire et comprendre un texte simple » (« Le Monde » du 3 mai 1993).

Le Bayrou approximatif, le même mois de mai 1993  : « il n'est pas acceptable qu'un enfant sur cinq, sur quatre ou sur trois, ne sache pas lire en sortant de l'école » (au congrès de la Fédération de parents d'élèves PEEP du 20 mai 1993).

Le Bayrou piteux, quatre ans plus tard : A la journaliste du « Monde » qui lui demande le 8 mars 1997 : « Qu'est-il advenu de votre objectif de diminuer de moitié en cinq ans le pourcentage d'élèves qui entrent en sixième sans savoir lire ? », le ministre de l'Education nationale François Bayrou répond en adoptant un profil très bas : « J'espère que les changements intervenus dans les programmes et dans l'organisation de l'école ont un peu amélioré les choses. Je n'ai pas réussi à faire naître le grand débat qui est le préalable à tout progrès ».

Des taux très variables voire ‘’abracadantesques’’ d’ « illettrés » ont été avancés (et continuent parfois de l’être, à la ‘’Une’’ de certains journaux), depuis les 0,5% du Mouvement ATD Quart Monde (qui a mis en valeur le terme d'''illettrisme'' au début des années 1980), jusqu'au taux de « 40% dillettrisme fonctionnel » repris à son compte par Jacques Chirac en 1995 (François Bayrou semblant désormais s'aligner sur lui, si l'on prend au sérieux sa saillie récente en date du 30 octobre 2014 : « 30 à 40 % »...).

Jacques Chirac nomme en 1996 « un chargé de mission nationale sur l'illettrisme », Alain Bentolila, professeur de linguistique à la Sorbonne. Alain Bentolila, pour tenter de mettre fin à ces poussées périodiques de statistiques (aussi fluctuantes qu’alarmantes) a mis au point un test qu’il considère comme fiable, fidèle et probant pour évaluer et classer les performances en lecture des conscrits.

Il souligne que, depuis que cette évaluation a commencé, en 1990, les résultats aux tests n’ont varié que dans des proportions insignifiantes. Cinq « familles » de « lecteurs » ont pu être distinguées, qui correspondent chacune à un même seuil de performance. En 1995, les résultats sont les suivants : « 1% des jeunes adultes sont analphabètes ; 3% ne dépassent pas la lecture d’un mot simple isolé ; 4% sont limités à la lecture de phrases simples isolées ; 12% ne sont capables que de la lecture superficielle d’un texte court et simple ; 80% ont la capacité de lire un texte de façon approfondie ».

On en est toujours là, pour l'essentiel, si on en juge par les résultats aux tests de lecture à la dernière « Journée Défense et citoyenneté », celle de 2013 (des tests qui ont été quelque peu remaniés en 2008 pour être plus précis techniquement). 81,8% de « lecteurs efficaces'' en 2013 (contre 79,8% en 2009) ; 8,6% de ''lecteurs médiocres'' (contre 9,6% en 2009) ; et 9,6% ''en difficulté de lecture'' (contre 10,6% en en 2009).

On remarquera que les taux des jeunes gens et de jeunes filles qui se retrouvent ''en difficulté de lecture'' (9,6% en moyenne nationale) se distribuent de façon très différenciée selon les départements : cela va de 4,8% à Paris à 12,7% en Seine-Saint Denis, et même à 14,9% dans la Somme et 17,6% dans l'Aisne (pour ce qui concerne la métropole). Cela donne à penser que l'apprentissage de la lecture est un phénomène fort complexe (aux données multivariées), qui ne saurait se réduire à la sempiternelle question des ''méthodes de lecture'' (objets généralement de toute l'attention et de furieuses controverses).

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