Avec le nom même de Patrie, selon Edgar Morin, « l'Etat-nation se mue en une communauté mythique qui incorpore en elle l'intensité de la relation familiale mère/père/enfant. La nation est féminisée en Mère nourricière […]. L'Etat est paternalisé, dans son autorité toujours justifiée […]. La fusion sacralisée du Maternel et du Paternel se manifeste dans le nom même de Patrie, masculin-féminin. La religion de l'Etat-nation est de substance matri-patriotique [...]. C'est ce qui donne à l'Etat-nation la conjonction d'une formidable puissance mytho-religieuse […]. L'identité de l'individu, fixée dans une Terre-Mère, se nourrit d'une histoire très riche en infortunes et en gloires, qui procurent des souffrances et jouissances mimétiques surdéterminant l'identification à la Patrie » ( Edgar Morin, « Penser l'Europe », Gallimard, 1987, pages 54 et 55)
Certes, « si l'on considère le sang que la nation a fait couler au cours de l'histoire, la manière dont elle a contribué à nourrir les préjugés, le racisme, la xénophobie et le manque de compréhension entre les peuples et les cultures, l'alibi qu'elle a offert à l'autoritarisme, au totalitarisme, au colonialisme, aux génocides religieux et ethniques », on peut en arriver à dire avec Mario Vergas Llosa que « la nation semble l'exemple privilégié d'une imagination maligne » (conférence prononcée à Vienne le 3 juin 1993 par Mario Vergas Llosa)
Mais on peut aussi repérer qu'il y a des trajectoires historiques et des concepts différents de la nation (alors même que la « communauté mythique de la patrie » tend à paralyser toute distinction ou analyse conceptuelles). Ainsi, Antony Smith peut soutenir qu'il y a deux concepts fondamentaux distincts de la nation : l'un « civique-territorial », l'autre « ethnique-généalogique » ( « The ethnic origins of nation », Londres, Blackwell, 1986), ; et Dominique Schnapper peut opposer « la nation civique au Volk, le peuple des citoyens au peuple des ancêtres, la volonté politique à la nation organique, la nation élective à la nation ethnique, le civisme au populisme, la pensée des Lumières au romantisme » ( « La communauté des citoyens ; sur l'idée neuve de nation », Gallimard, 1994, pages 66 et 68)
A suivre et à méditer sans doute au vu du contexte chargé dans lequel nous nous trouvons.
PS : « Le Tour de la France par deux enfants» (le manuel de lecture best-seller de la troisième République), est emblématique de la saga patriotique. Le père de deux enfants lorrains, avant de mourir, a murmuré le mot « France ». Il leur faut exaucer ce vœu du père qui est en même temps leur salut . C'est l'objet d'un devoir (''tu dois aller en France'' ) et ce qui protégera de l'orphelinat, de l'abandon (là tu seras accueilli, recueilli). La France, la patrie, est ce qu'il faut rejoindre pour obéir au père, mais aussi ce qui est refuge (maternel). Ainsi se tisse dans une histoire ''singulière'' ce qui doit être la trame du destin collectif de tout Français : « A travers cette odyssée des deux orphelins est recréée la généalogie des transferts. Sur la mort du père se fonde l'exigence de servir la France. Après la mort des pères/mères, c'est la patrie qui se substitue à ces derniers pour assurer leur protection. Le ''Tour de la France par deux enfants'' est un parcours de réintégration à la mère » ( Yveline Fumat, « Revue française de pédagogie »,n°44, 1978).