Le succès d’Entre les murs et du professeur François Bégaudeau ainsi que la suppression programmée des IUFM (accusés le plus souvent de dérives voire de délires "pédagogistes") remettent au centre des polémiques la question de la pédagogie qui est devenue dans les années 1980 une querelle obligée entre "pédagogues" et "républicains" (autoproclamés), mais qui est en fait un classique en France depuis plus d’un siècle.
Cette opposition ( aussi convenue qu’obligée ) s’est imposée - et dans cette terminologie là - au début des années 80, peu après la création du collège unique en 1975 et la publication en décembre 1982 du rapport de Louis Legrand ‘’Pour un collège démocratique’’ sous le ministère Savary. On peut songer en particulier au grand succès du pamphlet emblématique " De l’école " rédigé par Jean-Claude Milner en 1983, et à son pendant référentiel savant écrit en 1984 par Catherine Kintzler ( " Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen " ) où les écrits de l’homme des Lumières sont invoqués pour soutenir ‘’l’instruction’’ contre ‘’l’éducation’’, ou du moins que " l’éducation reste dans les limites de l’instruction ". L’éducateur est alors plus ou moins assimilé par certains tenants du ’’Savoir’’ ( libérateur ? élitiste ? ) à un ‘’animateur’’ ( voire un ‘’gentil animateur’’) qui serait sous l’influence dominante délétère ( et obscurantiste ) de la pédagogie ( du ‘’pédagogisme’’ ).
Cette opposition relève certes de tensions culturelles et idéologiques ayant leurs consistances et leurs enjeux, mais aussi d’affrontements corporatifs et d’’’habitus’’ professionnels différents, avec leurs enjeux de distinction et de territoires. Elle oppose de longue date le primaire et le secondaire, et elle a traversé pratiquement tout le XX° siècle.
On peut prendre pour référence les réponses des professeurs du secondaire à la vaste enquête parlementaire - dirigée par Ribot - lancée en 1899 afin de réformer les lycées et collèges, ainsi qu’une série d’articles parus dans les grandes revues plus ou moins liées au corps professoral entre 1880 et 1920. On pourra ainsi apprécier l’ancienneté et la pérennité de certains thèmes voire de certaines formules, un véritable " genre " en soi. Clairin, 1897 : " on trouve chez les plus qualifiés des pédagogues contemporains de fort belles choses, de beaux systèmes tirés d’un…principe abstrait ". Chauvelon, 1899 : " C’est par la formation scientifique érudite et non grâce à des cours de pédagogie, qu’on fait des esprits sérieux, méthodiques, amis de la vérité ". Bernes, 1899 : " c’est en laissant se développer une pseudo-science de cette nature qu’on laissera dépérir le niveau intellectuel de la France ".
Et tout cela est vide et creux, un trompe l’œil pompeux et pédant, servant la vanité des ‘’primaires’’ ( prétentieux ) cherchant à usurper une place et une reconnaissance indues. Albert Duruy,1886 : " la nouvelle pédagogie dont ils se parent est stérile autant que prétentieuse, pompeuse ; elle n’aboutit qu’à l’impuissance et au pédantisme ". En définitive, ce qui est reproché aux ‘’primaires’’ par les professeurs du secondaire, en particulier dans les moments d’affrontement, c’est une certaine ‘’enflure’’ obtenue en se gargarisant de ‘’vent’’ ( du vent ‘’mauvais’’ de " la pédagogie " ).
On comprendra mieux ainsi qu’Alain Finkielkraut n’ait pas résisté à envoyer une lettre parue dans le " Monde " du 4 juin pour mettre en cause François Begaudeau qui avait évoqué les " fondamentalistes de l’école républicaine " qui prônent " l’approche exclusive de la langue française par les grands textes ". Et il stigmatise François Begaudeau qui n’a " pas le triomphe modeste " et fait preuve d’ " acrimonie ". Une appréciation d’expert..