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Billet de blog 7 septembre 2023

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L’éducation, un domaine réservé du président ?

L’éducation, un domaine réservé du président ? C’est ce qui a été affirmé publiquement par Emmanuel Macron le 24 août dernier : « compte tenu des enjeux, l’éducation fait partie du domaine réservé du président ». Or si l’on suit la lettre de la constitution de la Cinquième république, cela ne devrait pas être revendiqué explicitement car en son article 20, il est dit que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ».

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Mais, dès le début, le général de Gaulle a imposé une version ‘’bonapartiste’’ (selon la terminologie du grand politiste Maurice Duverger) de l’institution de la Cinquième République, et pas seulement dans le domaine des Affaires étrangères et de la Défense nationale.

Le président Charles de Gaulle est en effet intervenu de façon déterminante pour ce qui concerne les grandes réformes de l’Ecole. En tranchant lors du Conseil des ministres très divisé précédant le vote de la loi Debré de décembre 1959 créant les établissements privés sous contrat , d’une manière impérieuse sinon impériale : « si le gouvernement ne peut se mettre d’accord, il faut en changer, si le Parlement n’accepte pas une situation de bon sens, il faudra le dissoudre ; si la Constitution ne permet pas d'aboutir, il faudra la modifier». 

Il en a été de même pour une réforme majeure de l’Ecole, celle de l’institution d’un collège d’enseignement secondaire pour tous les élèves de 11-12 ans à 15-16 ans contre l’avis hostile de son Premier ministre, Georges Pompidou. Le 16 févier 1963, Charles de Gaulle convoque à l’Elysée le directeur Jean Capelle- la principale cheville ouvrière du projet - et lui dit : « je comprends vos difficultés; rassurez-vous ; la décision sera prise ici ». Et il en sera de même avec le soutien décisif et public du Général de Gaulle pour ce qui concerne l’importante mais controversée loi Edgar Faure sur l’enseignement supérieur en dépit des ‘’mouvements divers’’ de la majorité présidentielle à l’été 1968.

Il n’en a pas été tout à fait de même lorsque François Mitterrand (qui s’était posé en opposant à la Cinquième République) a été Président de la République ; mais quand même. Il n’a certes pas été déterminant dans les politiques menées par ses trois principaux ministres de l’Education nationale (en confiant d’ailleurs à un proche conseiller qu’il avait nommé trois hommes politiques de premier plan, trois hommes d’Etat, mais qu’il n’avait été convaincu par aucune des trois politiques différentes qu’ils avaient menées).

Cependant, François Mitterrand n’a pas hésité par ailleurs à prendre position de façon impérative, certes à propos de questions plutôt circonscrites, mais de façon là encore déterminante. En mars 1983, le président de la République informe le ministre de l’Education nationale Alain Savary qu’il ne signera pas les futurs décrets sur les carrières des enseignants du supérieur s’ils sont destinés à instaurer un corps unique. Il se prononce catégoriquement contre la suppression des agrégations du supérieur : « il n’est pas question, monsieur le ministre, de la création d’un corps unique ou de la suppression de l’agrégation dans les décrets ». Ayant appris que le ministre de l’Education nationale Alain Savary avait décidé de supprimer les mentions au baccalauréat, le Président de la République François Mitterrand lui fait savoir, pendant le Conseil des ministres du 31 août 1983 qu’il n’est absolument pas d’accord avec cette décision. Et Alain Savary les rétablit sans mot dire.

On peut noter la mésaventure du président de la République Valéry Giscard d’Estaing en la matière. Il a été le véritable inspirateur de ce qui a été appelé « la réforme Haby » et en particulier du « collège unique ». Son rôle n’a pas été seulement de définir les orientations de la loi « dite Haby » de 1975 mais de fixer lui-même de nombreuses modalités du projet, au point de rédiger de sa propre main certains articles de la loi. Mais cela n’a guère été su au point que VGE s’en est agacé publiquement à plusieurs reprises, notamment lors d’un entretien télévisé sur Antenne 2 le 8 juin 1977. Il souhaite que l’on appelle la réforme en cours « la réforme du collège unique, au lieu de lui donner le nom de tel ou tel ministre de l’Education ». En vain.

C’est sans doute pour partie afin d’éviter une telle mésaventure que Nicolas Sarkozy a publié le 5 septembre 2007, peu après son élection à la présidence de la République, une très longue « Lettre aux éducateurs » dans laquelle il a détaillé, dès son arrivée au pouvoir, la politique éducative qu’il comptait mettre en œuvre . Et il a été imité dix ans plus tard , et dans les mêmes conditions, par Emmanuel Macron dans sa « Lettre aux enseignants» publiée le 8 septembre 2017.

En réalité, Emmanuel Macron n’a pas inventé la pratique du « domaine réservé » en matière de politique éducative (et sa double commande avec un ministre de l’Education nationale plus ou moins subordonné et autonome mais pas indépendant). Sa différence, c’est de multiplier les annonces publiques en la matière ; et surtout, récemment, d’avoir revendiqué publiquement cela. Si on pense qu’il vaudrait mieux que cela cesse, alors il faut songer à passer à une autre République.

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