Samedi dernier, le sénateur Ravier a pu convier au Sénat des membres actifs “Parents vigilants’’ à un colloque. Les « Parents vigilants » sont une association de parents constitués autour de la candidature d’Eric Zemmour aux élections présidentielles de 2022 : repérages de propos et de pratiques d’enseignants, déclenchement de campagnes de harcèlement numérique avec pour cibles prioritaires l’éducation à la sexualité, la colonisation, les migrations et plus généralement ce qui relève de l’enseignement moral et civique.
Signe de l’importance symbolique qui lui était accordée, ce colloque a été conclu par les deux dirigeants principaux de l’organisation d’extrême droite Eric Zemmour et Marion Maréchal. Sa tenue au Sénat, dans une institution républicaine, peut être en effet de nature à accréditer la légitimité de ce type d’organisation et de pratiques.
Il y a déjà eu en France des précédents de cet ordre, notamment dans les années qui ont précédé la Première guerre mondiale. Mais dans un contexte institutionnel républicain inversé. Et cela devrait donner à réfléchir et à s’orienter.
En septembre 1908, les cardinaux et archevêques de France publient une déclaration solennelle : « vous surveillerez l'école publique, employant d'abord tous les moyens légaux pour la maintenir dans l'observation de ce que, à défaut d'une expression meilleure, nous appellerons neutralité ».
En septembre 1909, les cardinaux, archevêques et évêques de France préconisent une nouvelle forme d'organisation – à savoir les « associations des pères de famille » - en affirmant davantage encore quel est le but : « Vous avez le devoir et le droit de surveiller l'école publique. Il faut que vous connaissiez les maîtres qui la dirigent et l'enseignement qu'ils y donnent. Rien de ce qui est mis entre les mains et sous les yeux de vos enfants ne doit échapper à votre sollicitude : livres, cahiers, images, tout doit être contrôlé par vous […]. Nous interdisons l'usage de certains livres dans les écoles, et nous défendons à tous les fidèles de les posséder, de les lire et de les laisser entre les mains de leurs enfants, quelle que soit l'autorité qui prétend les leur imposer ». Suit une liste d'une quinzaine de manuels d'histoire ou d'instruction civique condamnés.
De 1910 à 1913, de nombreux projets de « défense laïque » se succèdent, mais ne vont pas jusqu'au bout. Finalement, fin janvier 1914, la Chambre des députés vote une série de dispositions afin d'« assurer la défense de l'école laïque ». Les parents qui empêcheront leurs enfants de participer aux exercices réglementaires de l'école, ou de se servir des livres qui y sont régulièrement mis en usage, seront frappés de la même peine d'amende que dans le cas de non-fréquentation (de deux francs à quinze francs-or). D'autre part quiconque, exerçant sur les parents une pression matérielle ou morale, les aura déterminés à retirer leur enfant de l'école ou à empêcher celui-ci de participer aux exercices réglementaires de l'école, sera puni d'un emprisonnement de six jours à un mois et d'une amende de seize francs à deux cents francs-or.
A l’issue du colloque tenu le 4 novembre au Sénat, il y a eu des réactions de parlementaires significatives.
Le président du groupe écologiste au Sénat Guillaume Gontard a réagi sur un réseau social:« ce colloque des “Parents vigilants”, bras armé de l’extrême droite pour infiltrer l’école, organisé dans l’enceinte du Sénat n’est pas acceptable, la banalisation de leur parole dans une institution de la République est inquiétante », ainsi que sa collègue écologiste Mélanie Vogel :« les “Parents vigilants” sont une association d’extrême droite, qui organise le harcèlement d’enseignants, les met en danger, et dont l’objectif est d’instrumentaliser l’école pour miner les valeurs républicaine, le Sénat n’a pas à leur servir de caution »
Le groupe PS au Sénat a lui aussi réagi par une publication :« nous dénonçons avec force les idées réactionnaires et les méthodes de cyberharcèlement encouragées par le collectif “Parents vigilants”; sa présence au Sénat ce samedi, à l’initiative de Stéphane Ravier, ne s’inscrit pas dans le cadre des travaux du Sénat »
Par delà certains parlementaires du Sénat, il y a eu aussi des réactions de députés LFI de l’Assemblée nationale, notamment celles de Rodrigo Arenas, Thomas Portes, Paul Vannier ou Léo Walter.
Enfin le député écologiste Benjamin Lucas a demandé « la constitution d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la pénétration des réseaux d’extrême droite dans l’école publique et à ses abords, et sur les pressions qu’elle exerce contre la communauté éducative ». A suivre...