Co-auteur avec la députée Modem Géraldine Bannier de l’intéressant rapport sur l’application de la loi Blanquer, Jérome Legavre écrit qu’« un modèle de recrutement des professeurs qui a largement fait ses preuves a existé par le passé. C’est celui des écoles normales, des instituts de préparation aux enseignements de second degré (Ipes), des écoles normales nationales d’apprentissage (Enna). Y revenir serait un progrès considérable ».
Dans une interview menée par François Jarraud parue ce jeudi dans « Le Café pédagogique », le député LFI précise qu’il « plaide pour le retour de l’école normale et des IPES pour remédier à la crise de recrutement »
D’origine socialement populaire, j’ai moi-même emprunté en 1957 la voie de l’école normale en seconde pour pouvoir continuer mes études jusqu’au baccalauréat, puis celle de l’IPES à l’issue de la première année universitaire où l’on passait normalement l’examen de propédeutique. De même nature que l’examen de propédeutique, le concours des IPES était d’un niveau plus élevé. Par ailleurs il est remarquable que le taux de succès au baccalauréat des élèves des écoles normales était alors de plus de 90 % alors qu’il était en-dessous de 60 % pour les élèves de lycée.
Les écoles normales et les IPES accueillaient alors en moyenne de meilleurs élèves que les autres, mais d’origines populaires, qui - le plus souvent pour continuer leurs études – n’avaient guère d’autres solutions que de souscrire un engagement de dix années pour l’Education nationale en échange du financement de leurs études. Un ascenseur social ? Oui si l’on considère leurs origines sociales. Non si l’on prend la mesure qu’ils étaient d’un niveau supérieur à la moyenne des autres et auraient pu emprunter avec succès d’autres voies plus rémunératrices ou prestigieuses.
Les écoles normales et les IPES , permettaient certes à des jeunes d’origines populaires de fort bon niveau scolaire de continuer leurs études, mais en les détournant d’autres voies (qui leur étaient tout à fait accessibles s’il n’y avait pas eu l’obstacle financier) par le biais d’un pré-recrutement en faveur de l’enseignement public. Serait-ce ’équitable’’ de revenir à ce dispositif pour le moins ambigu quant à la démocratisation et à la justice sociale ? Et un "progrès" ? On peut en douter
Cela permettait certes en principe un recrutement d’une bonne qualité . Mais est- ce si sûr, comme le met en avant le député Jérome Legavre, que cela permettrait de « remédier à la crise du recrutement ». Le passé – là aussi – jette un doute.
Un rapport du 4° Plan en date de 1964 estime que les nouveaux postes de l’enseignement primaire ont été couverts à partir de 1955 par des « remplaçants » à raison de plus de 10000 par année. Entre 1951 et 1964, environ 70000 normaliens – la voie normale pour être « titulaire » – ont été recrutés contre environ 90000 non-normaliens nommés par le biais latéral du « remplacement ». Face à cette situation pour le moins inédite – et qui l’est restée…, la formation d’un semestre donnée alors à certains de ces « suppléants » ou « remplaçants » paraît historiquement dérisoire, car l’effectif touché a oscillé durant toutes les années 1960 entre 1200 et 1300.
Au cours des années 1960, les « collèges » (CEG et CES) sont amenés à recourir massivement à des recrutements de « fortune » pour faire face à la marée montante des élèves en raison de la démographie et de la poursuite des études de beaucoup d’entre eux. En 1967, sur dix professeurs de collège (CEG ou CES), six seulement sont titulaires. Le pourcentage de titulaires s’améliore ensuite assez rapidement, puisque le taux de non-titulaires s’établit en 1975-1976 à 11% pour les collèges et 8% pour les lycées. C’est l’effet d’une augmentation des recrutements par concours, mais surtout de plans de résorption de « l’auxiliariat » qui n’exigent ni formation dédiée ni acquisition de diplôme.
Voilà, voilà. Quand on invoque la "mémoire" (en l’occurrence celle des IPES ou surtout des écoles normales) tout va bien, car on fait trop souvent l’impasse sur les réalités historiques. Mais celles-ci peuvent nous rattraper. Surtout si l’on s’avisait de passer à l’acte..