Toujours est-il que Luc Cédelle a pris le soin de mener une longue enquête sur le sujet, signe de l'importance qu'il lui accorde. Et qu'il a sous-titré son livre qui vient de paraître aux éditions de « L'Aube : « Analyse d'un discours sur l'école et la société ».
Surprise ! Luc Cédelle qui n'a jamais été un laudateur de Jean-Michel Blanquer n'hésite pas à lui accorder des notations positives : il n'a pas écrit un pamphlet mais veut rendre compte d'une longue analyse où il s'agit de comprendre – et de faire comprendre – une ''curiosité'' pour que l'on en saisisse la signification, les contours et les mécanismes.
Il ne saurait donc être question de se laisser aller à une facile caricature outrancière. Une citation significative parmi d'autres possibles : « Au risque de contrarier une fois de plus ses détracteurs et adversaires, il convient de souligner que Jean-Michel Blanquer dispose d'un ensemble de qualités – d'intelligence, de culture, de détermination, de capacité de travail, de fidélité aux personnes – qui lui valent certains attachements indéfectibles et beaucoup de préjugés favorables et de sympathies qui comptent, y compris au-delà de son éco-système personnel plutôt de droite » (p. 235)
Cela ne l'empêche pas (bien au contraire?) de faire feu sur « le système Blanquer ». Les cinq axes de son ''détricotage'' (ou de sa ''mise à feu'') sont clairement établis. « Une première approche permet d'identifier cinq composants clés […] . En premier lieu, l'intensité de l'activité de communication du ministre, impressionnante et, autant qu'on puisse voir, inégalée dans un exercice récent de ministre de l'éducation. En deuxième lieu, l'option consistant […] à s'inscrire dans la condamnation du ''pédagogisme'', ce qui s'est avéré d'une puissante rentabilité en matière d'opinion publique et d'alliances politiques. Le troisième élément […] : l'utilisation très contrôlée des ''marqueurs de droite'', que l'on pourrait aussi désigner comme une stratégie du ''clin d'oeil'', toujours hautement rentable, dans le domaine de l'éducation. Le quatrième vient compenser en matière d'image, le précédent : c'est le choix, aux allures avant-gardistes, de placer son action sous le signe de la science, et plus précisément, selon un lieu commun de la période, des ''extraordinaires progrès des neurosciences''. Enfin, ces quatre éléments ne rendraient pas leur pleine puissance s'ils n'étaient pas catalysés par le cinquième : l'habileté du communicateur lui-même et l'adéquation parfaite, rare en politique, entre le message et la personne » (pages 101-102).
Tout cela est longuement évoqué et analysé avec précision, et finalement ''détricoté''. On tient là l'essentiel de l'intérêt de cet ouvrage, à l'objet unique et qui mérite d'être lu.
Luc Cédelle fait un sort particulier à la mise en cause du ''pédagogisme'' dans le dispositif mis en marche et qui marche.
« Cette option vaut à Jean-Michel Blanquer, dans un paysage idéologique de plus en plus droitisé, d'acquérir en quelques mois, et à peu de frais, le soutien des trois quarts du spectre politique français : des franges les plus dures de la droite jusqu'à une bonne partie de la gauche en passant par la droite classique et le centre ».
Cela est d'autant plus significatif (et ''paradoxal'') que Jean-Michel Blanquer a fréquenté certains pédagogues patentés et même soutenu certaines de leurs tentatives ou réalisations (cf les chapitres 36, 37 et 38 : pages 251 à 278)
''Feu'' le « système Blanquer » ?
On est tenté de répondre sans hésitation par l'affirmative s'il ne s'agit pas de son bilan, des modifications du système éducatif que Jean-Michel Blanquer va laisser derrière lui, mais bien de ce qui a été l'objet précis étudié de façon fort intéressante par Luc Cédelle, à savoir « l'analyse d'un discours sur l'école et la société ».
Il semble que, en cette fin de quinquennat, la « magie » du « système Blanquer » tend déjà à nettement moins fonctionner. Et elle disparaitra sans doute avec son auteur et sa fonction. Mais les ingrédients et les ressorts de son mécanisme et de ses conditions de possibilité et d'efficacité peuvent être repris à nouveaux frais par d'autres, et gagnent à être connus pour être ''détricotés''. La ''magie'' opère moins quand on connait les tours et détours de la ''magie'' du ''magicien''.
« Le système Blanquer. Analyse d'un discours sur l'école et la société » par Luc Cédelle (journaliste au Monde à la rubrique ''Débats'', spécialiste de longue date des questions liées à l'éducation) , éditions de L'Aube, février 2022, 320 pages, 24 euros.