Ce projet de « Note d'analyses et de propositions sur les programmes du lycée et les épreuves du baccalauréat » n'est manifestement pas le simple fait de la nouvelle présidente, mais aussi du ministère puisqu'il s'agit d'une « version 6 » impliquant que le texte avait été ''vu et revu'' avant d'être remis aux membres du CSP .
La citation de Péguy mise en exergue de la ''Note'' est loin d'être anodine : « L’enseignement secondaire donne un admirable exemple, fait un admirable effort pour maintenir, pour (sauve)garder, pour défendre contre l’envahissement de la barbarie cette culture antique, cette culture classique dont il avait le dépôt, dont il garde envers et contre tout la tradition » (Charles Péguy, Notre jeunesse).
A la fin de l'introduction de la ''Note'', il est certes indiqué que « le lycée devra adapter ses contenus d’enseignement aux exigences des savoirs contemporains, des sciences du XXIe siècle et d’un monde internationalisé » ; mais cela est précédé d'une forte affirmation (qui donne un certain sens à la mise en exergue de la citation de Péguy) : « le lycée doit faire l’objet d’une réforme, au plein sens du mot. Il lui faudra retrouver sa vocation première, toute réforme étant un retour à l’intuition originelle : au lycée on dispense en effet des enseignements secondaires, c’est-à-dire des savoirs théoriques et des pratiques organisés en disciplines qu’il s’agit de faire acquérir progressivement et rigoureusement aux élèves. Fidèle à cette tradition qu’ont tracée les Grecs, nous remettrons le lycée en mouvement »
Sans remonter ''aux Grecs'', il serait peut-être bon de remonter à la création effective et historique du « lycée » en France, sous l'autorité du Premier consul Napoléon Bonaparte en 1802 (pour pouvoir, comme on semble nous y inviter, « retrouver sa vocation première, toute réforme étant un retour à l'intuition originelle ») . Quelle a été cette intuition bonapartiste fondatrice du lycée ?
Pour en prendre la pleine mesure, il faut savoir que la création du lycée en 1802 avait été précédée sept ans plus tôt, vers la fin de la période révolutionnaire, par la création des « écoles centrales » (une au ''centre'' de chaque département).
Les langues anciennes sont subordonnées au français et voient surgir des rivales : les langues modernes (alors que les humanités classiques étaient quasi hégémoniques dans les collèges d’Ancien Régime) ; s’y ajoutent les mathématiques, la physique, la chimie et les sciences naturelles, sans compter le dessin (qui "est, pour ainsi dire, la ''géométrie des yeux''), l'histoire et la ''législation''. Il s'agit d'être dans la ligne de l' « Encyclopédie », dans la lignée des ''encyclopédistes'' et des ''hommes des Lumières'', au risque de l'''encyclopédisme''.
Contrairement à ce qui a été parfois prétendu, « ce n’est pas leur insuccès qui a entraîné la disparition des ''écoles centrales'', car il est remarquable qu’en si peu de temps et avec tant de difficultés de tous ordres, la plupart des écoles se soient ouvertes et que beaucoup aient connu une pleine activité », comme l'a souligné Françoise Mayeur, une historienne très au fait de cette période. C'est une décision très politique, celle de Napoléon Bonaparte, qui a mis fin aux « écoles centrales » de la période révolutionnaire.
Avec le futur Napoléon I, c’est le retour à l’ordre (à un certain ordre, ''vertical'') après l’effervescence révolutionnaire, là comme ailleurs. D’où la création, en 1802, du lycée dit ‘’napoléonien’’. Et le Premier Consul Napoléon Bonaparte se prononce lui-même très nettement pour le retour à la prédominance des études classiques : « Il faut que l'enseignement soit avant tout judicieux et classique. Avant tout mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures antiques. Voilà les maîtres qu'il lui faut. Cela est grand, sublime et en même temps régulier, paisible, subordonné. Il faut des conseillers d'Etat, des officiers, des professeurs. Telles étaient les idées du maître » ( L. Madelin, « La nation sous l'Empereur », pages 254 et 255 ).
Toute ressemblance avec la période actuelle devrait être bien sûr purement fortuite.
PS: certains affirment que David Bauduin , qui a été nommé le 31 mars dernier Secrétaire général du Conseil supérieur des programmes, serait le rédacteur principal de la version initiale de la ''Note'''. Agrégé de lettres classiques, Denis Bauduin est inspecteur pédagogique de lettres. Du 19 avril 2010 au 31 décembre 2011, il a été conseiller technique chargé de l'argumentaire et des discours auprès du ministre de l'Education nationale Luc Chatel. Et il est l'auteur avec l'Inspecteur général honoraire Pascal Charvet ) du rapport intitulé "Les humanités au coeur de l'école" remis le 29 janvier à Jean-Michel Blanquer.