Le principe de l'application de la loi de « Séparation des Eglises et de l’Etat » à l'Algérie et aux colonies a bien a été adopté à la Chambre des députés le 30 juin 1905. Mais, à la demande du député d’Oran César Trouin, les parlementaires ont pris en compte un amendement qui soumettait cette application à un décret. L'article 43 de la loi a donc été adopté avec cette formule : « des règlements d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable à l'Algérie et aux colonies »
Lors de la discussion au Sénat du 5 décembre, le sénateur d'Ille-et-Vilaine Eugène Brager de la Ville-Moysan demande que la loi de Séparation ne soit pas appliquée à l'Algérie, et tout particulièrement au culte musulman: l'influence française sur les sujets musulmans passe par le contrôle du culte. « On évitera tout ce qui pourrait gêner le culte musulman […].Vous n'ignorez pas que, dans la plupart de nos colonies, l'influence religieuse et l'influence française sont, pour ainsi dire, deux choses qui se confondent »
In fine, le ministre de l’Instruction publique des Beaux-arts et des Cultes, Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, laisse le champ ouvert à une application souple de la loi. « Certes, nous entendons appliquer la loi en Algérie et aux colonies dans l'esprit où elle est faite pour la métropole, mais il y a des mesures de sauvegarde que le gouvernement a le droit d'édicter et il n'y manquera pas »
La’’ ligne Maginot’’
La ‘’Séparation’’ ne sera jamais réellement appliquée aux populations musulmanes d'Algérie en raison de la volonté du colonisateur de maintenir son contrôle sur le culte musulman,
Selon André Maginot ( le futur maître d’oeuvre de la fameuse ligne de fortifications) chargé par le gouverneur général de préparer le décret d’application de la loi du 9 décembre 1905, la suppression des dépenses pour le culte musulman comporterait des risques graves pour la domination de la France en Algérie car elle entraînerait la perte du soutien du personnel religieux. Le décret du 27 septembre 1907, publié par le gouverneur général Charles Jonnart, détermine les conditions d'application de la loi. Il stipule donc, dans son article 11, que « le gouverneur général pourra, dans un intérêt public et national, accorder des indemnités temporaires de fonction aux ministres (du culte) désignés par lui ».
La rétribution des agents du culte musulman par l'administration française donne de fait un pouvoir de nomination exercé par le gouvernement général : la procédure de recrutement comporte une enquête de moralité, qui a pour objectif de déterminer pour chaque candidat le « degré d'influence chez ses coreligionnaire » et le « loyalisme envers la France ». Ce sera de fait pérennisé jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.
Un paradoxe surprenant voire inquiétant
L'Association des oulémas d’Algérie, fondée en 1931 par le cheikh Ben Badis, fait de la question de l’assujettissement du culte musulman l’un des points centraux de contestation de l’ordre colonial . Cette contestation passe par le création de lieux de culte ‘’libres’’ concurrencés par les mosquées auxquelles l’administration coloniale accorde son soutien. Lors du premier congrès musulman algérien de juin 1936, l’Association des oulémas d’Algérie dépose une motion dans laquelle il est demandé que « la gestion des mosquées soient assurée par des associations culturelles organisées conformément à la loi de Séparation »
Cela n’aboutira pas, en dépit de demandes en ce sens réitérées, l’administration coloniale opposant notamment comme argument que l'islam méconnaît la séparation des sphères politiques et religieuses. Par exemple, une note du ministère de l'Intérieur, datée de 1950 soutient que : "Si les règles de la laïcité n'ont pas toujours reçu en Algérie une application aussi complète qu'il eût été désirable, cela est dû (...) à certaines résistances rencontrées auprès des autochtones, demeurés fidèles à la conception, traditionnelle en pays d'islam, de l'Etat théocratique, réunissant entre ses mains les pouvoirs temporel et spirituel."
Ainsi l'administration coloniale, pour assurer son pouvoir, s’est appuyé sur le discours religieux le plus conservateur et a contribué de fait à le conforter. C'est "l'étonnant paradoxe" qu’a déjà relevé Oissila Saaïdia en juillet 2005 dans la revue « Vingtième siècle » : « Alors que le discours laïc affirme la nécessité de sortir de l'emprise du religieux en France, il le place au coeur des sociétés islamiques. Il contribue ainsi à renforcer un des discours musulmans, au détriment des efforts tentés par d'autres pour repenser les rapports de l'islam à la société ». Et on n’en a pas fini avec ce type de manœuvres .