claude lelièvre (avatar)

claude lelièvre

Historien de l'éducation

Abonné·e de Mediapart

837 Billets

1 Éditions

Billet de blog 10 mai 2024

claude lelièvre (avatar)

claude lelièvre

Historien de l'éducation

Abonné·e de Mediapart

Les élèves ne respectent-ils plus leurs enseignants ?

C’est loin d’être évident si on en juge par la seconde édition du « Baromètre du bien-être au travail » des personnels de l’Education nationale datant du printemps 2023, et si on a en tête quelques éléments invitant à quelques réserves quant à l’existence sans partage de ce respect dans l’Ecole d’antan.

claude lelièvre (avatar)

claude lelièvre

Historien de l'éducation

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les résultats de l’enquête de 2023 sont fondées sur les réponses de 71000 personnes. Invités à donner une note de 0 à 10 à la question « personnellement , avez-vous actuellement le sentiment d’être respecté(e) par les élèves ? » , la moyenne des notes données par les enseignants titulaires s’élève à 7,5 (contre 6,5 pour les enseignants remplaçants)

Une note moyenne indéniablement élevée, surtout si on la compare à celle qu’ils donnent à la question : « êtes-vous satisfait de votre niveau de rémunération ? » (3,3) ou bien à celle « dans quelle mesure avez-vous le sentiment d’être valorisé dans la société ? » (2,5)

On notera qu’ils donnent la note moyenne de 6,1 dans le premier degré et de 5,8 dans le second degré à la question de la « satisfaction dans leur travail ». 

Les réponses des enseignants eux-mêmes sur la question du respect des élèves envers eux sont donc loin de s’inscrire dans une doxa qui tend à s’imposer, notamment dans la sphère politico-médiatique (alors même que, par ailleurs ils n’hésitent pas à donner des réponses foncièrement médiocres voire mauvaises dans certains autres domaines). Cela devrait faire réfléchir...

Et pour ce qui concerne le passé et la nostalgie fondée sur une représentation de l’Ecole d’antan assez unilatérale, on se contentera de quelques élément qui tendent à montrer que cela n’était pas si simple et si évident que cela

Dans l’enseignement primaire, on peut prendre pour emblématique des orientations prises l’article sur « la discipline scolaire » du « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » paru sous la direction de Ferdinand Buisson de 1882 à 1886, un ouvrage de référence présent dans chacune des écoles communales de France, et repris presque intégralement dans le « Nouveau dictionnaire » de 1911. Son auteur – Jean Gaillard – est un instituteur devenu inspecteur primaire à Paris.

« L’élève le plus emporté et qui paraît le plus intraitable est toujours démonté et vaincu par le calme du maître. Eclairons ce point par un exemple. Un désordre grave s’est produit dans la classe, une punition a été jugée nécessaire, le maître l’a infligée. Ce qui peut arriver de plus grave alors, c’est une sorte de révolte de la part de l’élève qui est l’objet de cette répression ; cette révolte se traduit par un geste malséant, par un mot peu convenable, par une parole injurieuse. L’enfant agit évidemment sous l’empire d’un sentiment violent, son imagination s’exalte, d’autant plus qu’il sent auprès de lui des témoins de la lutte qui s’engage et que, parmi eux, il s’en trouve un certain nombre peut-être prêts à l’admirer. Si le maître engage la lutte avec l’enfant, le voilà dans la nécessité très grave ou de céder, ce qui compromet son autorité ou d’employer la force, ce qui compromet sa dignité. […]. Le maître qui, par sa tenue, par ses gestes, par ses éclats de voix désordonnés, par ses colères constantes, vraies ou feintes, par des menaces exagérées qu’il lui est impossible de mettre à exécution apparaît ridicule se retrouve complètement perdu aux yeux de ses élèves; il ne les dominera jamais, il ne les disciplinera pas. Arrivât-il à les battre, il ne les empêchera pas de se moquer de lui ». 

L’écrivain Jean Anglade n’a pas hésité à décrire concrètement ce qu’avait pu être son comportement lorsqu’il était instituteur. « Devant moi, trente-deux enfants que je me sentais avide de servir. De gré ou de force. Le plus souvent, le gré suffisait. Parfois, je l’avoue, je dus employer la force. A l’égard notamment d’un certain Vial, foncièrement rebelle à toute discipline, toujours la bave aux lèvres, le poing levé vers moi et contre les autres. Je dus le tabasser comme un tambour. Avec une affection fraternelle, naturellement, tel un aîné envers son cadet qui se dévoie. Je sentais qu’il m’aurait tué avec le plus grand plaisir s’il avait pu, des larmes de rage lui montaient aux yeux ; mais je sortais vainqueur de nos corps à corps » (« Conférences auvergnates », éditions Christian de Bartillat, 1993, p. 205)  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.