En mars 2002, à la demande du ministre de l’Education nationale Jack Lang, le philosophe Régis Debray publie un rapport intitulé « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ». Régis Debray, partisan selon sa formule d’une laïcité non pas d’indifférence à l’égard des religions mais d’intelligence, se prononce pour que le fait religieux soit abordé à l’école publique au nom même de la laïcité.
Lors du débat parlementaire de février 2005 sur la loi d’orientation pour l’avenir de l’école, le député communiste Jean-Pierre Brard propose un amendement : « Dans le monde d’aujourd’hui où le fait religieux marque tout à la fois l’actualité en permanence et constitue l’un des accès à la culture comme aux arts », il convient « d’organiser dans l’enseignement public la transmission de connaissances et de références sur le fait religieux et son histoire, dans le respect de la liberté de conscience, et des principes de laïcité et de neutralité du service public ». Cet amendement est approuvé par le ministre de l’Education nationale François Fillon, puis voté par les députés de toutes sensibilités politiques.
Si l’on en juge – par exemple - par ce qui est immédiatement le plus significatif, à savoir les programmes d’histoire pour le collège parus au BO du 28 août 2008, cet amendement a bien eu des retombées précises dans les programmes scolaires. Un dixième du temps dévolu à l’enseignement de l’histoire en classe de sixième doit être réservé aux débuts du judaïsme et un autre dixième aux débuts du christianisme. En cinquième, un dixième du temps dévolu à l’enseignement de l’histoire est réservé aux débuts de l’islam. Et l’on pourrait multiplier les exemples de mises en œuvre préconisées depuis.
Rien de tel pour un « enseignement du fait laïque » dont la première évocation vient d’ailleurs plus tard, en mars 2012, dix ans après la première évocation d’un « enseignement du fait religieux ».
Au cours de la campagne présidentielle du printemps 2012, François Hollande a en effet évoqué que l’on devrait enseigner le «fait laïque» à l’Ecole. Le 17 mars 2012, la FCPE (la principale fédération de parents d’élèves de l’Education nationale) avait invité les candidats à répondre à une batterie de questions sur l’Ecole. Le texte de son intervention (préparé par Vincent Peillon, futur ministre de l’Education nationale, assisté de Jean-Paul Delahaye, futur DGESCO) indiquait qu’il serait opportun d’enseigner le «fait laïque» à l’Ecole à l’instar du « fait religieux ». Mais – lapsus sans doute révélateur – François Hollande avait dit que « après le fait laïque, le fait religieux devrait être enseigné ».... Et Vincent Peillon s’était retourné vers moi (qui était présent au deuxième rang de cette assemblée) en chuchotant : « ce n’est pas gagné! »
Cette idée était en effet alors portée en particulier par Vincent Peillon qui était chargé du thème de l’éducation dans l'équipe de campagne de François Hollande. Le 1er mars 2012, dans un entretien sur "France Culture", Vincent Peillon avait d'ores et déjà plaidé pour une « reconquête de la laïcité à l'Ecole».. Interrogé sur l'enseignement du «fait religieux», il avait estimé que cet enseignement était mieux mis en place que l'enseignement du « fait laïque ». Et il avait même déclaré «découvrir qu'il n' y avait aucun enseignement de la laïcité pour les élèves », et que l'«on ne préparait pas les enseignants à ces valeurs ».
On en est toujours là pour l’essentiel. Ce sujet n’en était pas vraiment un pour le président de la République François Hollande, et Vincent Peillon n’a pas vraiment eu la possibilité d’acter ce qu’il préconisait..
Dans la conférence de presse du 6 mars dernier révélant les conclusions du rapport de la mission sénatoriale de « contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, des menaces et agressions dont les enseignants sont victimes », deux propositions (parmi les 28 proposées) figurent en bonne place : mieux former les enseignants à la question de la laïcité et à ses atteintes, en formation continue essentiellement mais aussi dès la formation initiale. « Face à une remise en cause croissante des valeurs de la République et de la laïcité à l’école, la mission souhaite que la formation à leur promotion devienne un module majeur de la formation initiale des enseignants, réalisée par un praticien de l’éducation nationale ayant bénéficié récemment d’une formation continue sur le sujet »
Soit. Mais on doit noter que ce serait mieux que l’ambition en ce domaine concerne aussi les élèves afin que le « fait laïque » puisse faire vraiment sens pour eux et oriente l’ensemble du dispositif à mettre en place.