Emmanuel Macron s’est déjà prononcé nettement pour des mesures en ce sens et il le revendique clairement. Il s’agirait donc d’aller plus loin et de façon ‘’radicale’’ dans cette direction. Les émeutes qui viennent d’avoir lieu, avec une forte participation de jeunes, y inviteraient de façon pressante à l'évidence.
Mais cette ‘’évidence’’ est mise à mal par l’histoire lorsqu’on sait que « l’Ecole est devenue une affaire d’Etat » sous le ministère de François Guizot alors même que les libéraux venaient d’arriver au pouvoir, au début des années 1830 ( cf « Comment l’Ecole devint une affaire d’Etat », Christian Nique, Nathan, , 1990). Et ce paradoxe tient précisément à la question du rétablissement de l’ordre, de la remise en ordre. Pour comprendre comment une Chambre des députés libérale a pu voter la loi Guizot du 30 juin 1833 instaurant un service d’enseignement public centralisé dans le primaire, il convient de ne pas perdre de vue quelle était la conjoncture : les séditions républicaines et sociales, parisiennes et lyonnaises (celle des Canuts) des années 1831 et 1832.
Comme l’a dit très explicitement François Guizot : « Quand le gouvernement a pris soin de propager, à la faveur de l’éducation nationale, sous les rapports de la religion, de la morale, de la politique, les doctrines qui conviennent à sa nature et à sa direction, ces doctrines acquièrent bientôt une puissance contre laquelle viennent échouer les écarts de la liberté d’esprit et toutes les tentatives séditieuses. » (François Guizot, Essai sur l'histoire et l'état actuel de l'instruction en France, Madaran,1816, p. 9).
Le ministre de l’Instruction publique François Guizot ne met pas en avant les disciplines mais la discipline : « La discipline ne suffit point pour donner la moralité ni la science ; mais elle seule met les âmes dans la disposition nécessaire pour les recevoir. La discipline inspire le goût et l’habitude de l’ordre dont elle offre le spectacle ; elle prépare les maîtres à maintenir à leur tour la subordination et la régularité parmi leurs élèves ; et c’est en raison de la vigueur ou du relâchement de la discipline que la jeunesse puise dans les écoles ou ce mépris de toute règle qui la rend plus tard rétive au frein des lois, ou cette déférence pour l’autorité légitime qui, dans un Etat libre, relève la dignité du citoyen » (cité par Gréard, « La législation de l’enseignement », Delalain, p. 168).
L’État central se fait éducateur pour que l’ordre – son ordre – règne. Il doit donc, ce faisant, se subordonner le local, le « remettre à sa place ».
Comme le dit, là encore, très explicitement François Guizot dans sa célèbre « Lettre aux instituteurs » du 16 juillet 1833 où il précise ce qu’il attend de sa loi : « Ce n’est pas pour la commune et dans un intérêt purement local que la loi veut que tous les Français acquièrent les connaissances sans lesquelles l’intelligence languit et quelquefois s’abrutit : c’est aussi pour l’État lui-même et dans l’intérêt public. C’est parce que la liberté n’est assurée et régulière que chez un peuple assez éclairé pour écouter, en toute circonstance, la voix de la raison. L’instruction primaire universelle est désormais en effet une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale […]. C'est assurer l'empire et la durée de la monarchie constitutionnelle. »
Un autre grand fondateur de l’Ecole centralisée, ‘’étatique’’, ne dit pas autre chose (non plus en faveur de la monarchie constitutionnelle, mais pour la République) : « Quand nous parlons d'une action de l'État en éducation, nous attribuons à l'État le seul rôle qu'il puisse avoir en matière d'enseignement et d'éducation. L'État n'est pas docteur en mathématiques, docteur en physiologie, en chimie. S'il lui convient, dans un intérêt public, de rétribuer des chimistes, des physiologistes, s'il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n'est pas pour créer des vérités scientifiques ; ce n'est pas pour cela qu'il s'occupe d'éducation : il s'en occupe pour maintenir une certaine morale d'État, certaines doctrines d'État qui sont nécessaires à sa conservation. » (Discours programme de Jules Ferry à la Chambre des députés du 26 juin 1879.)
Le président de la République Emmanuel Macron se révélera-t-il plus cultivé et plus avisé en l’occurrence que son « ministre de poids » ? Évitera-t-il un ‘’contre-sens’’ historique majeur ? On verra, notamment sur ce point particulier et significatif , même si d’autres points au moins aussi importants peuvent aussi être soulevés dans la perspective d’une telle ‘’refondation’’ de l’Ecole (une véritable ‘’révolution’’ en l’espèce, au vu de toute l’histoire de l’Ecole publique en France)