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Billet de blog 14 septembre 2012

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Faire face aux violences à l'Ecole

Ni se voiler la face (dans le déni), ni perdre la face (dans le trauma, et sur fond de catastrophisme). Mais comment ?

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Ni se voiler la face (dans le déni), ni perdre la face (dans le trauma, et sur fond de catastrophisme). Mais comment ?
Les longues investigations d’ordre socio-historiques que j’ai menées pour l’ouvrage « Histoires vraies des violences à l’Ecole » ( paru chez Fayard en octobre 2007 ) m’ont amené à la conclusion que la ‘’violence scolaire’’ date de longtemps, et qu’elle a été présente toujours et partout ( y compris dans les établissements les plus huppés ), même si elle peut prendre des formes et des intensités variables dans le temps et selon les secteurs scolaires.
L’idée que ‘’la violence scolaire’’ pourrait être éradiquée est une illusion finalement funeste car elle invite à penser que cela pourrait ne pas avoir lieu parce que cela ne ‘’devrait’’ pas avoir lieu. Or cette forme particulière de déni de la réalité profonde et tenace du problème n’est pas seulement une erreur, c’est une faute : elle conduit en effet à ne pas situer la violence scolaire comme une réalité en quelque sorte ‘’indépassable’’ ( à contenir et à maîtriser au mieux ), et à ne pas l’aborder vraiment comme un problème central et collectif pour tous ( en ‘’professionnels’’ informés et formés, opérants et pragmatiques ), et à l’appréhender finalement comme le fait essentiellement de ‘’marginaux’’ et/ou à ‘’la marge’’.
.L’ancienneté et la généralité des violences scolaires  conduisent à penser qu’il ne saurait y avoir ni ‘’victoire ‘’ décisive, ni remède miracle. L’étendue et les formes multiples que peuvent prendre ces violences induisent à l’évidence que l’on ne peut les contenir et y faire face que par des réponses pluridimensionnelles où les différentes figures de la prévention, de la sanction et de la réparation sont nécessairement impliquées.
On peut citer comme pistes reconnues la présence en nombre des adultes ( enseignants et éducateurs, voire aide-éducateurs ) et la qualité de leur formation professionnelle ( en particulier dans le domaine de la prévention et de la gestion des conflits ) ; ou bien encore la mise en évidence,  par des recherches telles que celles menées récemment par Georges Fotinos concernant le ‘’climat’’ des établissements, de l’importance des effets des rythmes scolaires ou même de l’organisation de la restauration ; et, plus généralement, des espaces et des temps scolaires. Enfin, et ce n’est sûrement pas le moins important, la définition même des enseignements ainsi que la nature et l’organisation des apprentissages.
Il est tout-à-fait remarquable que les succès les plus probants de la lutte pour réduire l’ampleur et l’intensité des violences scolaires passent par certaines mises en œuvre collectives, par le collectif. De nombreux travaux de chercheurs américains le montrent sans appel, en particulier ceux de l’équipe de Denise C. Gottfredson, qui a mené une enquête de victimation et climat scolaire sur un échantillon de plus de deux cents établissements. Cette recherche a établi que les facteurs les plus explicatifs de l’augmentation de la victimation sont l’instabilité de l’équipe enseignante ( ‘’teachers turnover’’ ) et le manque de clarté et l’injustice dans l’application des règles ( ‘’fairness’’, ‘’clarity’’ ), même si des facteurs exogènes au fonctionnement des établissements ( tels, en particulier, que la concentration des désavantages ) peuvent également jouer leur rôle en l’occurrence. « Les écoles dans lesquelles le corps enseignant et l’administration communiquent et travaillent ensemble pour planifier le changement et résoudre les problèmes possèdent un meilleur moral des enseignants et pâtissent de moins de désordre. Les écoles dans lesquelles les élèves perçoivent des règles claires, des structures valorisantes et des sanctions sans ambiguïtés souffrent également de moins de désordre ».
Par ailleurs, dans le domaine non plus de la « prévention » mais de « la réparation » il conviendrait de prendre beaucoup mieux en compte des études telles que celles menées par le docteur J-Mario Horenstein dans le cadre de la MGEN qui mettent en évidence que la spécificité majeure des violences subies en milieu scolaire est que l’identité professionnelle est fortement remise en cause. Les enseignants cherchent en effet plus que toute autre victime d’agressions physiques à donner un sens à l’agression dont ils ont été victimes, et à attribuer des buts et des comportements à l’agresseur en réponse à leurs propres actions.
Des expériences sont actuellement menées en ce sens, dans le domaine du traitement clinique lui-même. On peut en prendre pour exemple le travail entrepris par Anne Joly qui situe bien  le problème posé en mettant sa spécificité au centre même de la réflexion : « En terme de prévention et de thérapeutique, la question fondamentale est de savoir comment s’actualise la souffrance psychique d’origine traumatique. Or la fonction enseignante et son public sont au cœur même du processus psychopathologique et de la souffrance morale qui s’y associe. A travers l’agression d’un enseignant, l’élève attaque la partie professionnelle de l’individu : son engagement, son image, ses desseins, ses croyances, ses valeurs. Pour cette raison, à l'approche clinique du sujet traumatisé doit s'adjoindre une clinique du professionnel » .
Une dernière indication ( parmi bien d’autres possibles ) :  l’importance réelle que devrait prendre ( pour tous les enseignants, et pas seulement  pour ceux voués à exercer en zone ‘’sensible’’ ) « une  formation spécifique à la gestion des conflits et à la prévention de la violence » comme l’avait annoncé Luc Chatel lors des Etats généraux sur les violences à l’Ecole ( tenus en avril 2010 ). Las, la quasi absence de formation professionnelle des enseignants lors de la « mastérisation » de leur formation telle qu’elle a été jusqu’ici mise en œuvre a pratiquement réduit cette annonce à ce qu’elle était , une simple annonce ( Luc Chatel étant coutumier du fait ).
Et pourtant un chercheur tel que le québecquois Denis Jeffrey a montré que, lorsqu’un enseignant est formé à la gestion de son propre stress et à la gestion des conflits, le taux de victimation tend à être réduit par deux, ainsi que celui de ses élèves.
On peut penser que cela pourra prendre toute sa place dans le cadre de la nouvelle formation professionnelle à venir, à condition que les « Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation » qui seront mises en place aient bien leur autonomie  garantie…
 

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