Le pseudo-savant Eric Zemmour profite de la méconnaissance assez répandue de nombre de Français sur ces sujets pour semer la confusion (sa confusion?) propice à toutes les régressions historiques qui accompagnent et servent son dessein politique très réactionnaire et ante-républicain (dans le domaine de l'Ecole comme dans beaucoup d'autres).
Lors d'une réunion électorale tenue dans le département de l'Aisne le 14 janvier et à nouveau samedi dernier sur France 2, il a mis en avant qu'il fallait revenir aux « méthodes de Jules Ferry », en particulier au « par coeur » et aux « dictées ».
Contrairement à une légende tenace, Jules Ferry a en réalité tenté de diminuer la forte pression de l'orthographe et de la dictée dans l'enseignement primaire. D'abord en s'en prenant à ce qui a été au fondement de la promotion emblématique de la dictée (à savoir son rôle dans la sélection des instituteurs) lors de la discussion au Sénat sur la nature du « brevet de capacité » le 31 mars 1881 : « Mettre l’orthographe, qui est une des grandes prétentions de la langue française, mais prétention parfois excessive, au premier rang de toutes les connaissances ce n’est pas faire de la bonne pédagogie : il vaut mieux être capable d’écrire une lettre, de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe ». Et Jules Ferry conclut au congrès pédagogique des directeurs d’écoles normales et des inspecteurs primaires du 19 avril 1881 : « Aux anciens procédés qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée –, il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant, plus substantiel ».
Des années plus tard, dans une lettre adressée en 1887 au directeur de la Revue de l’enseignement secondaire et supérieur, Jules Ferry a souligné lui-même ce qui était pour lui essentiel : « Il faut se fixer sur la Note qui a suivi les programmes de 1880. On pourra modifier les programmes, on ne mordra pas sur ces prescriptions si claires qui renferment en quatre pages toute la substance des controverses pédagogiques soulevées depuis vingt ans, sur ces instructions qui marquent si nettement la différence entre l’esprit ancien et l’esprit nouveau […]. Oui, vraiment, tout est là. Car les nouvelles méthodes […] éclairent et réchauffent la classe, elles la fortifient de tout ce qu’elles enlèvent aux routines, aux analyses à outrance, à tous les exercices mécaniques et surannés »
Lavisse : ''L'histoire ne s'apprend pas par cœur, mais par le cœur »
L'historien Ernest Lavisse a été l'auteur d'une série de manuels d'histoire de France (les « petits Lavisse ») destinés aux différentes classes de l'enseignement primaire qui sont devenus des best-sellers et le modèle de la plupart des manuels d'histoire qui ont suivi. Il a fortement et durablement influencé l'enseignement de l'histoire à l'école primaire et la représentation que l'on en a. C'est ce que l'on désigne actuellement sous l'expression « roman national » . Ernest Lavisse, lui, parlait à ce sujet de « contes » et « légendes » pour développer le « sentiment patriotique »
Il ne saurait donc être question d'enseigner l'histoire « avec le calme qui sied à l'enseignement de la règle des participes ; il s'agit ici de la chair de notre chair et du sang de notre sang […] ; l'histoire ne s'apprend pas par cœur, mais par le cœur » (article « Histoire », in Dictionnaire pédagogique, dirigé par Ferdinand Buisson,1187)
Quant au « rétablissement du certificat d'études à la fin du primaire pour mesurer l'acquisition des savoirs fondamentaux » qu'Eric Zemmour a aussi réitéré, cela n'a aucun sens, ni historique ni actuel. Historiquement, le certificat de fin d'études a été pour la grande majorité des enfants le seul diplôme qu'ils pouvaient avoir, à la fin de leur instruction obligatoire qui se terminait pour la plupart à 13 ans (puis 14 ans à partir de 1936). Il ne s'agissait nullement de mesurer l'acquisition des savoirs dits fondamentaux à l'issue de l'enseignement élémentaire, vers 11 ans, avant de continuer des études dans l'enseignement secondaire, au collège...
Décidément, le pseudo-savant Eric Zemmour est incorrigible.
Voir aussi « L'Ecole républicaine ou l'histoire manipulée. Une dérive réactionnaire » publié en février 2022 aux Editions Le Bord de l'eau.