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Billet de blog 16 mai 2016

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Les femmes publiques ne se tairont plus!..

Il est temps ! Et ce ne sera pas facile, car il y va notamment de la place des femmes dans l'espace public, jugée littéralement ''déplacée''' dans notre tradition politique française. Dix-sept anciennes ministres (de droite ou de gauche) viennent de déclarer qu'elles « dénonceront systématiquement toutes les remarques sexistes, les comportements inappropriés, les gestes déplacés ». Bien. On verra.

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Il n'y a pas besoin de remonter très loin . Par exemple, juste après la constitution du premier gouvernement Ayrault, un chroniqueur du ‘’Point’’- Patrick Besson - s'est illustré dans cette veine début juin 2012 : « L’ingénue libertaire Najat Vallaud Belkacem, la séductrice Aurélie Filippetti, l’associative hitchcockienne Delphine Batho, la radicale chic Sylvia Pinel, le tanagra guyannais Christiane Taubira, la geisha intellectuelle Fleur Pellerin, la Schéhérazade cinématographique Yamina Benguigui ». Cuistrerie de beauf (l’évocation du ‘’tanagra’’, pièce de la statuaire grecque de petite taille, pour s’en prendre ‘’finement’’ à celle de Christiane Taubira), et chute finale à la hauteur de son auteur : « La parité a des allures de partouze straight ». Il n' y a pas eu alors beaucoup de monde pour y trouver publiquement à redire (cf mon billet du 4 juin 2012 sur Médiapart : « Les femmes ministres mises à l'index »). A vrai dire, on pouvait s'y attendre. Comme on pouvait s'attendre à ce que cela ne suscite pas vraiment un tollé dans notre pays si fin et si spirituel.

L' Avant-propos du livre que j'ai écrit avec mon épouse en 2001 ( « L'histoire des femmes publiques contée aux enfants », PUF) débute ainsi : « Tout commence par une ambiguïté linguistique et historique : les femmes publiques sont censées arpenter davantage le trottoir que l'agora. Conter leur histoire aux enfants est donc littéralement déplacé ».

Et nous avons rappelé un passage caractéristique du premier Plan d'Instruction publique présenté par Talleyrand devant l'Assemblé nationale en septembre 1791 au nom du comité de Constitution : « Les hommes sont destinés à vivre sur le théâtre du monde. L'éducation publique leur convient […]. Destinées aux soins intérieurs, c'est au sein de leur famille que les femmes doivent en recevoir les premières leçons […]. Que toutes vos institutions tendent donc à concentrer l'éducation des femmes dans cet asile domestique : il n'en est pas qui convienne mieux à leur pudeur »

C'est une ''évidence'' (bien ''française'') qui traverse les siècles et les lieux : « Il ne s'agit pas de faire de vous des avocates ou des politiciennes. Votre place n'est ni à la barre d'un tribunal, ni dans une assemblée publique. Elle est au foyer domestique. Jouer un rôle sur une scène plus éclatante répugne aux mœurs traditionnels de la femme française, à je ne sais quel sentiment respectable et profond de pudeur » ( « Le Progrès de la Somme » du 18 décembre 1883)

Nous avons souligné alors dans notre livre que l'on aurait tort de croire que la barrière de la « pudeur », que la question du corps féminin littéralement ''déplacé'' lorsqu'il passe de la ''protection'' de l'espace privé à l'''exhibition'' de la place publique seraient enfin sorties des préoccupations des femmes et des hommes publics.

Comme l'a noté Michelle Perrot, la grande historienne des femmes, « rien de plus machiste qu'une assemblée politique française, composée d'hommes à plus de 90%. Imaginez tous ces regards qui se portent sur la femme qui monte à la tribune. Dès qu'une femme prend la parole, on l'attend au tournant . Sa voix, ses gestes, son look, tout son corps est l'objet d'un examen où l'ironique et le vulgaire, l'emportent. Surtout si elle est jeune et jolie. Elle est piégée et sujet de plaisanteries qui visent en dessous de la ceinture, dans une tradition gauloise qu'on estime un signe de virilité » ( « Femmes publiques », Textuel, 1997, page 131).

Il y a eu beaucoup de moments d'''anthologie'', notamment au Sénat. Un seul exemple, pour mieux saisir jusqu'où peut aller notre belle ''tradition gauloise''. Le sénateur Duplantier s'illustre au milieu de l'entre-deux-guerres lors d'un débat portant sur un projet de loi sur l'intégration des femmes à la profession de notaires en jouant sur les mots de registres professionnels propres aux huissiers, notaires et greffiers : « Lorsque la notairesse aura signé avec les parties, lorsqu'elle aura apposé au bas de l'action ses seings et sceau […]. Autrefois, il y avait vous le savez, des huissiers à verge ; il est vraiment fâcheux que ce titre soit aujourd'hui supprimé, car il n'est pas douteux que les femmes l'auraient revendiqué ». Et la plupart des sénateurs de rire....

Cela vient de loin. Et cela porte loin...

PS: pour ceux ou celles qui s'offusquent (innocemment?) du titre de ce billet (qui a été aussi celui du livre que j'ai écrit avec mon épouse en 2001), je précise que c'est une reprise ( dans le même sens) du titre d'un livre de la grande historienne Michelle Perrot  : "Femmes publiques", paru chez Textuel en 1997. Mais une lecture attentive du billet lui-même permettait de s'en douter...

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