Pour la première fois, Philippe Meirieu fait part publiquement de l’état d’esprit de ses parents, proches d’une droite extrême voire d’extrême droite, et de leur opposition constante à son propre parti pris anthropologique.
« Ils étaient persuadés que j’abandonnerais, un jour ou l’autre, mon idéal romantique d’une société plus juste et solidaire pour convenir, avec eux, que les humains étaient des êtres fondamentalement égoïstes, mus par un désir irrépressible de dominer leurs semblables, que des chefs charismatiques devaient absolument conduire à la baguette […]. A mes emportements humanistes et à ma confiance en un monde meilleur, ils répliquaient systématiquement par un procès en incompétence : je ne savais rien de la réalité ; il suffisait de regarder autour de moi pour conclure que j’avais tort ; le comportement des humains démentaient impitoyablement mes injonctions idéalistes ; ma foi dans les pouvoirs de l’éducation allait bientôt se heurter au principe de réalité » (pages 7 et 8).
Suivent trois chapitre aux titres évocateurs : « Les droites et l’éducation ; une vieille histoire » ; « On éteint les Lumières » ; « C’est la faute à Rousseau ! » . Un chapitre sur les politiques éducatives récentes : « Ecole : des remèdes pires use le mal ! « . Un chapitre indiquant qu’« Il y a bien une alternative » (revisitant notamment le « Plan Langevin-Wallon » et le moment "Jean Zay").
Et last but not least, un denier chapitre, capital : « Nous sommes embarqués ! Il faut choisir ». Il s’agit, dit Philippe Meirieu, de « la sempiternelle querelle entre les partisans de l’homme ‘’naturellement bon’’ et ceux qui le considèrent comme ‘’intrinsèquement mauvais’’. Mais aujourd’hui, je refuse de me laisser enfermer dans une alternative que je crois, en réalité, totalement indécidable. C’est que, sur ce point, les arguments s’annulent réciproquement […]. La question de la vérité dans ce domaine , m’est devenue totalement étrangère. En revanche , je revendique l’hypothèse qui nous ouvre les perspectives d’action les plus fécondes en me permettant d’’’ennoblir les humains’’ par l’éducation. Et puis, surtout, je refuse de tirer argument de l’incertitude anthropologique dans laquelle nous sommes pour m’incliner benoîtement devant l’’’ordre des choses’’. Car nul ne sait , en fait, s’il existe un ‘’ordre des choses’’ » (pages 159 et 160).
« Ainsi, contre le ‘’principe de réalité’’, éternel prétexte à nos démissions, il nous faut réaffirmer sans cesse le ‘’principe espérance’’ tel que l’a développé le philosophe Ernst Bloch [« Le principe espérance », Gallimard, 1976] qui montre l’importance de toujours prendre le ‘’parti du futur’’. Pour lui, en effet, le véritable humanisme se reconnaît à son ‘’regard tourné vers l’avant’’, ‘’chargé d’espérance et d’imagination’’, qui n’est , en aucun cas, une foi aveugle dans le progrès mais qui nous enjoint, en revanche, de ne jamais nous soumettre au réel dans lequel nous vivons » (page 170)
Philippe Meirieu esquisse finalement à grands traits le système scolaire qu’il appelle de ses vœux : « une véritable école commune de 3 à 18 ans » qui ferait découvrir à tous « l’ensemble des disciplines d’enseignement, y compris les disciplines abusivement nommées manuelles ». Et il n’hésite pas à conclure qu’« il est urgent que toutes les forces politiques, syndicales et associatives se rassemblent et proposent un projet de société où l’éducation, sous toutes ses formes, occupe la place centrale ».
On ne peut pas dire que c’est "s’incliner benoîtement devant l’ordre des choses" , loin s’en faut (si tant est qu’il existe un « ordre des choses »)…
Philippe Meirieu, « Education : rallumons les Lumières ! » , Editions de L’Aube, juillet 2024, 190 pages, 17 euros.