Bruno Le Maire (reçu premier à l'agrégation de lettres modernes, et par ailleurs ancien élève de l'ENS et de l'ENA) n'ignore bien sûr pas que le terme « reconquête » (dans la situation où nous nous trouvons) ne peut que faire écho à celui de « reconquista » (mot espagnol donné à la reconquête des royaumes musulmans dans la péninsule ibérique par les souverains chrétiens). C'est pourtant ce qu'il a délibérément choisi d'inscrire dans son nouveau mot d'ordre ( la « reconquête éducative » ) en tête d'une tribune publiée le week-end dernier dans le « Figaro ».
Extraits . « Ces assassins sont des monstres, mais ce sont nos monstres. Comment en sommes-nous arrivés là ? Par le délaissement de ce que nous sommes. Au lieu de défendre et de valoriser ce que nous aimons, notre culture, notre langue, notre histoire, nous avons lâché du terrain à ceux qui ne nous aiment pas […]. Comment reprendre la main ? Par la reconquête éducative, qui tient en trois mots : autorité, transmission et fierté [...] . En France, notre langue fait notre nation : on apprend donc le français au CP, pas la langue arabe [sic]. Par quelle lâcheté avons-nous abandonné ces valeurs qui font notre honneur ? Nous sommes une vieille nation. Nous portons en nous les doctrines politiques des Grecs et des Romains mêlés à la spiritualité juive et chrétienne. Cette double mémoire est la matrice de nos plus grandes réalisations et de nos plus grands rêves : affirmons-la haut et fort ! Fierté enfin, parce que nous ne connaissons pas de nation qui grandisse dans le mépris de soi. Assez avec la repentance ! Colonialisme et esclavagisme ne sont pas les deux traits saillants de notre histoire nationale […]. Depuis trente ans [quid ? re-sic], nous avons laissé grandir en France la haine contre la France. Nous avons négligé notre culture, qui était pourtant notre meilleur rempart contre cette haine. La reconquête éducative doit nous permettre de retrouver ce que nous sommes et de le transmette à nos enfants […]. Cette reconquête sera longue et difficile ; elle est de notre responsabilité à tous. La victoire contre le terrorisme est à ce prix »
Edgar Morin ( « Le Monde » du 10 février 2016). « Comment devient-on fanatique, c'est à dire enfermé dans un système clos et illusoire de perceptions et d'idées sur le monde extérieur et sur soi -même ? Nul ne naît fanatique. Il peut le devenir progressivement, s'il s'enferme dans des modes pervers ou illusoires de connaissance. Il en est trois qui sont indispensables à la formation de tout fanatisme : le réductionnisme, le manichéisme, la réification. Et l'enseignement devrait agir sans relâche pour les énoncer, les dénoncer, et les déraciner. Car déraciner est préventif, alors que déradicaliser vient trop tard, lorsque le fanatisme est consolidé […].Il nous semble aujourd'hui plus que nécessaire, vital, d'intégrer dans notre enseignement dès le primaire et jusqu'à l'université ''la connaissance de la connaissance'' qui permet de faire détecter aux âges adolescents où l'esprit se forme, les perversions et risques d'illusions ; et d'opposer au manichéisme, à la réification, une connaissance capable de relier tous les aspects divers, voire antagonistes, d'une même réalité, de reconnaître les complexités au sein d'une même personne, d'une même société, d'une même civilisation […]. Nous sommes entrés dans des temps d'incertitude et de précarité, dus non seulement à la crise économique, mais à notre crise de civilisation et à la crise planétaire, où l'humanité est menacée d'énormes périls. L'incertitude secrète l'angoisse, et alors l'esprit cherche la sécurité psychique, soit en se refermant sur son identité ethnique ou nationale puisque le péril est censé venir de l'extérieur, soir sur une promesse de salut qu'apporte la foi religieuse. C'est ici que l'humanisme régénéré pourrait apporter la prise de conscience de la communauté de destin qui unit en fait tous les humains, le sentiment d'appartenance à notre patrie terrestre, le sentiment d'appartenance à l'aventure extraordinaire et incertaine de l'humanité, avec ses chances et ses périls ».
On voit la différence !