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Billet de blog 17 août 2015

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Langues régionales: un projet en suspens...

Le Conseil d'Etat, saisi d'un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, a déclaré à l'issue de son assemblée générale du 30 juillet 2015 n'avoir « pu donner un avis favorable à ce texte ».

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Le Conseil d'Etat, saisi d'un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, a déclaré à l'issue de son assemblée générale du 30 juillet 2015 n'avoir « pu donner un avis favorable à ce texte ».

Le Conseil d'Etat, dans son avis, met en avant un certain nombre de raisons dont la plus détaillée figure en dernière position : « En signant la Charte, le 7 mai 1999, la France a annoncé « envisager de formuler dans son instrument de ratification », une déclaration affirmant notamment qu’elle interprétait ce texte comme ne conférant pas de droits collectifs aux locuteurs des langues régionales et minoritaires et n’allant pas à l’encontre du principe d’usage officiel du français énoncé par l’article 2 de la Constitution. Cette déclaration contredit l’objet de la Charte qui vise, dans des stipulations qui, en vertu de l’article 21 de ce traité, ne peuvent faire l’objet de réserves, à donner des droits aux groupes  de  locuteurs  de  langues  régionales  ou  minoritaires  et  à  permettre  à  ces  locuteurs d’utiliser leur langue dans la sphère publique. Sa mention dans la Constitution aurait une double conséquence. En premier lieu, la référence à deux textes, la Charte et la déclaration, difficilement compatibles entre eux, y introduirait une contradiction interne génératrice d’insécurité juridique. En  second  lieu,  elle  produirait  une  contradiction  entre  l’ordre  juridique  interne  et  l’ordre juridique international, exposant tant à des incertitudes dans les procédures contentieuses nationales qu’à des critiques émanant des organes du Conseil de l’Europe chargés du contrôle de l’application de la Charte en application de sa partie IV ».

Cette issue était assez prévisible, surtout si l'on se souvient des épisodes précédents, notamment ceux qui ont eu lieu en 1998-1999.

Le Premier ministre Lionel Jospin était décidé à aller de l’avant sur cette question, mais à condition que l’on trouve une ouverture juridique crédible. C’est ce que paraît offrir l’expertise de Guy Carcassonne, professeur de Droit à l’Université Paris X, qui lui est remise le 6 octobre 1998. Comme les Etats ne sont tenus de s’engager que sur trente-cinq des quelque cent propositions de la « Charte » pour pouvoir la signer, il suffit de sélectionner celles qui sont compatibles avec la Constitution (une cinquantaine semblent « possibles »). Par précaution, Guy Carcassonne suggère d’accompagner la signature d’une « déclaration interprétative ». Il s’agirait de noter que, pour la France, le « groupe » (notion utilisée dans la Charte, et très sensible dans le débat en cours) « renvoie aux individus qui le composent, et ne peut en aucun cas former une entité qui en serait distincte, titulaire de droits qui lui seraient propres ».

Le processus d’une signature de la « Charte » est enclenché. Le 7 mai 1999, le ministre délégué aux Affaires européennes Serge Moscovici signe la « Charte » à Budapest, avec un blanc-seing officiel du Président de la République Jacques Chirac. Le texte doit être soumis à la ratification du Parlement en 2000. Cette signature est assortie d’une déclaration liminaire « restrictive » :  la France « interprète la Charte dans un sens compatible avec le préambule de la Constitution qui assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Elle déclare n’envisager la ratification que « dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l’emploi du terme de ‘’groupes’’ de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires ». Onze des alinéas, sur les trente-neuf articles retenus dans la Charte, relèvent principalement du domaine scolaire.

Le précédent de l'engagement limité de Jacques Chirac

Surprise, le 6 mai 1998, l’Elysée annonce que le Président de la République Jacques Chirac saisit le Conseil constitutionnel « compte tenu de l’ampleur des engagements que la mise en œuvre de cette Charte implique », tout en indiquant que le Président a délivré à Pierre Moscovici, ministre des Affaires européennes, « les pleins pouvoirs l’autorisant à signer au nom de la France ».

L’Elysée fait valoir que Jacques Chirac « saisit le Conseil constitutionnel à chaque fois que la France s’apprête à ratifier un traité international », et l’entourage présidentiel souligne qu’ « un certain nombre d’avis contradictoires ont été émis sur la compatibilité de la Charte avec la Constitution ; il s’agit de trancher ».

Certains commentateurs pensent que « la saisine du Conseil constitutionnel par Jacques Chirac peut aussi apparaître comme une volonté de donner des gages à sa propre famille politique : les adversaires de la Charte ne manquent pas parmi les gaullistes. Le Président de la République pourra se targuer, auprès du RPR, d’avoir eu le souci de l’impartialité en appelant le juge constitutionnel à trancher » (« Le Monde » du 8 mai 1999). Le Conseil constitutionnel rend publique sa décision le 16 juin 1999. Il juge certes que les engagements concrets souscrits par la France au titre de cette Charte ne sont pas contraires à la Constitution française. En revanche, le préambule de la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires » ainsi que son article 7 (qui a un caractère général et contraignant) sont jugés contraires à la Constitution « en ce qu’ils confèrent des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées ». Et cela, en dépit de la déclaration liminaire « interprétative » ou restrictive française accompagnant la signature (relevant, il est vrai, quelque peu de « la restriction mentale » généralement attribuée aux Jésuites). Le Conseil constitutionnel rappelle que « les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français […] s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ».

Si on veut le faire, alors il faut vraiment changer la Constitution, voire de Constitution.

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