''Le Figaro'' de samedi dernier a titré à la Une: "Jean-Michel Blanquer rappelle aux enseignants leur devoir de réserve''. Un titre choc plus ou moins démenti par l'article même de Marie-Estelle Pech qui s'efforce de ''faire la part des choses''. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que l'existence même d'un ''devoir de réserve'' est loin d'être dûment établie.
Le ''Portail de la Fonction publique '' indique certes sous le titre: ''Obligation de réserve'':
''Le principe de neutralité du service public interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque. La portée de cette obligation est appréciée au cas par cas par l'autorité hiérarchique sous contrôle du juge administratif.
L'obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d'intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s'est exprimé, modalités et formes de cette expression).
C'est ainsi que le Conseil d'Etat a jugé de manière constante que l'obligation de réserve est particulièrement forte pour les titulaires de hautes fonctions administratives en tant qu'ils sont directement concernés par l'exécution de la politique gouvernementale.
A l'inverse, les fonctionnaires investis d'un mandat politique ou de responsabilités syndicales disposent d'une plus grande liberté d'expression.
La réserve n'a pas trait uniquement à l'expression des opinions. Elle impose au fonctionnaire d'éviter en toutes circonstances les comportements portant atteinte à la considération du service public par les usagers''. Mais ces indications n'ont pas''force de loi''
Réponse d'Anicet Le Pors (nommé ministre chargé de la Fonction publique et des Réformes administratives en 1981 qui a élaboré et défendu devant le Parlement les dispositions légales portant sur le ''Statut général des fonctionnaires'' datant 1983, nommé Conseiller d'Etat en 1985) à la question suivante de ''Guerda" le 9 février 2016: "Monsieur Le Pors, comme vous le savez, nombre de nos collègues se voient reprocher « un manquement à l’obligation de réserve ». Pouvez vous nous confirmer que cette notion n’existe pas pour les fonctionnaires dans la loi et expliquer pour le profane la notion de « construction jurisprudentielle complexe » ?
Anicet Le Pors : "L’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général des fonctionnaires. Ce n’est pas un oubli, mais une décision réfléchie prise en 1983. Pour la première fois nous avons écrit la liberté d’opinion des fonctionnaires dans le statut. S’est aussitôt posée la question de savoir s’il fallait la compléter par la liberté d’expression. Mais on comprend bien que cette dernière, si elle doit être conçue de la plus large façon, ne peut être illimitée. D’aucuns ont alors soutenu que si l’on inscrivait la liberté d’expression dans le statut, il fallait aussi fixer sa limite : l’obligation de réserve. J’ai estimé qu’il y avait plus de risques que d’avantages à retenir cette solution, d’autant plus que si la liberté d’opinion est de caractère général, la liberté d’expression prend différentes significations en fonction des circonstances, de la place du fonctionnaire dans la hiérarchie et qu’il revenait au juge, par la jurisprudence progressivement établie de trancher tous les cas d’espèce".
C'est sans doute pourquoi le capitaine de réserve Jean-Michel Blanquer, insatisfait de l'état de la question fixé en 1983, a tenu au contraire à inscrire un ''nouvel article'' en la matière dans son projet de loi ''fourre-tout'' qui devrait être examiné en janvier 2019 par le Parlement.
L'article 1 du projet de loi demande d'insérer un article L. 111-3-1 dans le Code de l'éducation ainsi rédigé : " Art. L. 111-3-1 - Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. " A première vue, on pourrait se dire que c'est une simple ''déclaration de principe'' (dont on peut se demander par ailleurs ce qu'elle fait dans un projet de loi...)
Mais l'étude d'impact du projet de loi (un document obligatoire fourni par le ministère aux parlementaires), éclaire d'un jour bien particulier ce que Jean-Michel BLanquer appelle la ''confiance'' et ce premier article de sa loi:" Le Gouvernement souhaite inscrire, dans la loi, la nécessaire protection de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles. Compte tenu de son importance, il serait en effet déraisonnable de s’en tenir à une simple consécration jurisprudentielle". Et l'étude d'impact du projet de loi donne explicitement des exemples (significatifs): "Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. Ces dispositions pourront également être utilement invoquées par l’administration dans les cas de violences contre les personnels de la communauté éducative ou d’atteintes au droit au respect de leur vie privée, notamment par le biais de publications sur des réseaux sociaux''
PS1: Il y a du moins un domaine à propos duquel le capitaine de réserve Jean-Michel Blanquer fait preuve d'une ''réserve'' à toute épreuve (digne de son implication au sein de la ''Grande muette'', mais fort étrange en regard de la prolifération de ses propos destinés à la presse): il s'agit de la question de l'évaluation des deux opérations (en juin 2018 comme en juin 2017) de ''distributions gratuites'' des ''Fables'' de La Fontaine aux élèves de CM2. Ces distributions ont-elles été effectives? Combien ont-elles coûté? Auprès de qui? Avec quels résultats pour les élèves? C'est bien le moins que l'on puisse exiger de Jean-Michel Blanquer, un ''grand partisan des évaluations'' (mais uniquement pour les autres?)
PS2: Le ''capitaine de frégate'' est appelé ''frégaton'' dans l'argot de la marine; et on s'adresse à lui en lui donnant du ''commandant'''. Fichtre!