Comme l’écrit dans la quatrième de couverture Catherine Camus, la fille d’Albert Camus, « cet ouvrage lumineux et sensible éclaire d’un jour nouveau l’oeuvre de mon père. Puis il invite à une nouvelle approche de ses écrits en faisant de la pauvreté la clé de sa lecture ».
A vrai dire, comme le souligne lui-même Jean-Michel Wavelet ( p. 14), il n’est pas le premier à tenter d’attirer l’attention sur ce point nodal : « D’autres spécialistes savent heureusement en souligner l’importance [...] . Jacqueline Lévi-Valensi commence son ouvrage qui lui est consacré par un chapitre évocateur : ‘’ce monde de pauvreté et de lumière’’. Elle cerne d’emblée les enjeux camusiens de la volonté d’être écrivain : ’’dans le monde de la pauvreté et du silence, la création ne peut se justifier que si elle décrit ce monde et témoigne de ce qu’il est’’ »
Jean-Michel Wavelet note aussi que le jeune Albert Camus a loué dans la revue ‘’Sud’’ « le poète de la misère Jehan Rictus […]. Un des leurs s’est levé. Il a parlé la langue du Pauvre, non pas le bavardage académique de certains auteurs modernes mais celle qui sert aux misérables à se dire un peu de l’éternelle souffrance humaine, une langue d’une vulgarité aristocratique où la douleur fait surgir d’étonnantes trouvailles »
Dans la préface de 1958 à son livre « L’Envers et l’Endroit » ( publié en 1937), Albert Camus déclare sans fard : « chaque artiste garde, au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit […]. Pour moi, je sais que ma source est dans ‘’L’Envers et l’Endroit’’, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu »
En l’occurrence, Albert Camus peut avoir la dent très dure. Le pauvre « a parlé par la voix de Victor Hugo, de Zola, de Richepin. Du moins l’ont-ils dit. Et ces impostures ont nourri leurs auteurs » (in « Le poète de la misère Jehan Rictus » dans Sud, mai 1932, OC, I, p.517)
Toujours est-il que l’ouvrage de Jean-Michel Wavelet emprunte cette voie avec beaucoup de résolution et de méthode, voire de façon ‘’implacable’’ comme on peut le ressentir à la simple lecture de sa table des matières.
1) Camus au coeur de la pauvreté ( les reclus de la pauvreté ; l’expérience du dénuement ; les liens qui se défont, ; la voix qui se perd). 2) Les sources d’une résilience ( une famille si encourageante ; des maîtres d’exception ; le chemin du sensible ; élargir la vie). 3) L’impensable pauvreté ( la richesse d la pauvreté ; l’éthique de la pauvreté ; la sagesse des pauvres). 4) La pauvreté, un combat inlassable ( l’engagement ; entendre et comprendre avant de juger ; une voix humaniste) ? 5) La pauvreté une oeuvre d’art ( les premiers pas d’un artiste ; la voix retrouvée)
Au début de son livre, Jean-Michel Wavelet interroge (p. 13) : « La pauvreté est la source de son œuvre. Pourquoi aucune étude camusienne ne porte exclusivement sur cette thématique ? Est-ce un sujet tabou ? Faut-il penser avec Camus que ‘’la misère gène quelquefois le bonheur des autres’’ » ? Bonne question et bonne réponse ?
Jean-Michel Wavelet « Albert Camus ; la voix de la pauvreté », L’Harmattan,, décembre 2022, 275 pages, 29 euros