Le baccalauréat que nous connaissons a été institué par le décret impérial du 17 mars 1808, il y a tout juste deux cents ans. Signe des temps, une discrète commission du Sénat s’emploie actuellement à répondre à une question redoutable : " A quoi sert le baccalauréat ? ", après que l’ouvrage de Robert Pitte - " Stop à l’arnaque du bac " - a eu le succès que l’on sait. Il proposait notamment de retirer au bac son caractère de premier grade universitaire et d’instaurer " une orientation sélection explicite et transparente, à l’entrée de l’université ".
Dès sa naissance, en mars 1808, le baccalauréat français possède en effet une double nature ( une originalité rare dans le monde, et qui va devenir au fil des temps de plus en plus problématique ) de sanction des études secondaires et de passeport pour l’entrée dans l’enseignement supérieur. Car il est à l’origine un examen d’entrée à l’Université, les jurys du baccalauréat étant alors composés exclusivement de professeurs de facultés. Peu à peu, le nombre de candidats allant croissant, ces jurys s’élargissent à des professeurs du secondaire agrégés et/ou docteurs ( choisis par le ministre lui-même puis, à partir de 1931, simplement par le recteur). L’apport des enseignants du secondaire dans les jurys du baccalauréat se banalise au point qu’un arrêté ministériel de 1934 oblige les professeurs agrégés et même certains professeurs non agrégés à siéger dans les jurys. Finalement, les professeurs du secondaire deviennent quasi hégémoniques dans les jurys du baccalauréat ( censé être pourtant une examen d’entrée à l’Université ).
Pendant longtemps cela ne pose pas beaucoup de problème car le baccalauréat n’est, de fait, à la portée que d’une toute petite minorité ( nettement en dessous de 10 % d’une classe d’âge jusqu’à la fin de la quatrième République). Tout va changer à partir de la cinquième République. Contrairement à ce que l’on pense généralement, la ‘’massification’’ de l’obtention du baccalauréat précède Mai 68. De 1958 à 1968, le taux d'une classe d'âge obtenant l'un des baccalauréats généraux double en dix ans, et passe de 10% à 20%. Quarante après, l’on en est à 36% d’une classe d’âge obtenant l’un des bacs généraux. Pour ces baccalauréats là, la grande accélération se situe donc au moment ‘’gaullien’’.
Et c’est pourquoi le problème de la double nature du baccalauréat ne va commencer à être posé qu’à partir de 1968. Mais avec une insistance récurrente depuis. Le Conseil des ministres du 24 avril 1968 traite des mesures envisagées pour " contrôler et normaliser la croissance des effectifs des étudiants : pas de sélection malthusienne, mais orientation, grâce à la diversification des voies ". " L’inscription automatique interviendra, dans la voie choisie, pour la moitié environ ou les deux tiers des bacheliers, soit : ceux qui ont obtenu une mention ; plus ceux qui ont obtenu 12 sur 20 dans les disciplines fondamentales de la voie choisie. Pour les autres, le droit à l’inscription ne sera pas automatique. Le bachelier pourra se porter simultanément candidat à plusieurs établissements. Les candidatures seront examinées, sur présentation du dossier scolaire, par des jurys d’établissement, lesquels pourront accepter ou refuser l’admission. Le gouvernement prendra des dispositions pour que l’ensemble des enseignements secondaires diversifiés permette d’absorber la totalité des bacheliers désireux de poursuivre leurs études ".
L’examen de ce projet est inscrit au programme de l’Assemblée nationale pour les 14,15 et 16 mai. Mais les événements de Mai 68 ( et ce projets n’a pas été pour rien dans la mobilisation étudiante et lycéenne ) empêcheront l’ouverture des débats et leur conclusion.
Dix-huit ans plus tard, à la fin de l’année 1986, un projet du même ordre porté par Alain Devaquet dans le gouvernement de Jacques Chirac aura les mêmes effets : intense mobilisation étudiante et lycéenne, et retrait final du projet
Entre temps, le président de la République Georges Pompidou aura même envisagé ( mais sans oser finalement passer à l’acte ) de découpler radicalement la question de la sanction des études secondaires et celle de l’entrée à l’université. Il pose en tout cas publiquement la question dans son discours d’Albi du 6 avril 1970 : " Que veut-on faire du bachot ? Ou bien c’est un examen d’enseignement supérieur qui vous ouvre toutes grandes les portes des facultés, qui vous donne un droit de poursuivre des études ; alors, il faut évidemment qu’il constitue une sélection. Je n’ai pas peur du mot. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas laisser aller vers des études prolongées des gens qui n’ont pas subi la préformation indispensable nécessaire. Si par contre au considère que l’enseignement supérieur doit assurer lui-même son recrutement, eh bien alors le baccalauréat peut devenir un simple certificat stipulant que vous avez fait convenablement des études secondaires sans plus, et que vous ne vous dirigez pas obligatoirement vers des études prolongées ".
Depuis, deux autres types de baccalauréat se sont ajoutés aux baccalauréats généraux. Les baccalauréats technologiques ( créés en 1970 ) qui sont obtenus actuellement par 16% d’une classe d’âge ; et les baccalauréats professionnels ( institués en 1985 ) obtenus par 12% d’une classe d’âge aujourd’hui. Tout cela a encore compliqué la question de la " double nature " du baccalauréat et de son sens.
In fine, comme la problématique de l’orientation et de la sélection a été souvent confuse ( certains prenant prétexte de la nécessité de l’orientation pour tenter de sélectionner de façon malthusienne, d’autres tenant parfois toute orientation pour de la sélection déguisée ) le résultat final des entrées dans l’enseignement supérieur est pour le moins baroque, sinon chaotique ou pervers.
Ainsi, plus des trois quarts des nouveaux bacheliers de 2006 de l’enseignement général se sont bien dirigés vers des filières longues ( 59% en entrant à l’Université et 19 % dans des classes préparatoires aux grandes écoles ) ; mais près de 20% d’entre eux ont préféré des filières courtes ( 8% des sections de techniciens supérieurs et 11% des Instituts universitaires de technologie ), en principe destinés aux bacheliers d’enseignements technologiques ( et ils occupent ainsi les deux tiers des places offertes en IUT, qui deviennent de fait des établissements foncièrement sélectifs ). A l’inverse, même si une courte majorité des titulaires d’un baccalauréat technologique en 2006 se sont bien dirigés vers des filières courtes ( 42% en sections de techniciens supérieurs et 10% en IUT ), 18% d’entre eux se sont inscrits à l’Université dans des filières longues qui ne leur sont pas a priori destinées. Or, comme le montre le suivi de cohortes de bacheliers datant des premières années de notre nouveau millénaire, les bacheliers technologiques ne sont que 13% à obtenir la licence en trois ans ( et 30% au total en cinq ans ) contre respectivement 45% et 71% pour les bacheliers d’enseignement général.
Cela est d’autant plus fâcheux qu’une partie non négligeable de ceux qui se sont engagés dans des filières en principe courte ( STS ou IUT ) poursuivent ensuite des études universitaires ou tentent de le faire ( ce qui est le cas de la majorité des étudiants des IUT, établissements plus ou moins ‘’squattés’’ de fait par des bacheliers de l’enseignement général ). Or il faut savoir que la dépense par étudiant est nettement plus élevée en STS ou IUT ( où l’encadrement est plus élevé qu’à l’Université ) et que leurs études sont très (trop) pointues par rapport aux études longues.
Mais le secret de ce paradoxe ( ou plutôt de ce pataquès ) réside en dernière analyse sur une anomalie remarquable ( qui interroge en dernière analyse le statut très particulier du baccalauréat français ) : les filières courtes professionnelles ( STS et IUT ) peuvent choisir ( sélectionner ) leurs élèves ; les filières longues ( les filières générales de l’Université ) ne le peuvent pas…
Comment dénouer ce sac de nœuds ? Qui est susceptible de trancher ce nœud gordien ? Dans dix ans? On y est!