Un décret paru le 30 juillet risque de passer inaperçu alors même qu’il est symboliquement très significatif, et qu’il en dit long si on sait le décrypter sur la politique " très ordinaire " menée par Nicolas Sarkozy.
Ce décret élargit le vivier du recrutement des recteurs ( dans la limite de 20% des emplois ) à des personnes ne possédant pas le plus haut grade universitaire ( actuellement, le plus souvent, ‘’une habilitation à diriger des recherches’’ ) c’est à dire notamment à " des personnes ayant exercé les fonctions de secrétaire général de ministère ou de directeur d’administration centrale pendant au moins trois ans ".
Bernard Toulemonde ( qui a été lui-même recteur puis directeur au ministère de l’Education nationale, après avoir été professeur de droit ) attire l’attention sur ce qui est en jeu dans un article du 13 septembre de l’ " Actualité juridique-Droit administratif " ( relevé par l’excellent site ToutEduc ). Bernard Toulemonde souligne à juste titre qu’il s’agit d’ " une rupture avec une tradition forte de deux siècles " et s’inquiète de voir à terme les recteurs remplacés par des ‘’directeurs régionaux de l’enseignement’’ placés sous l’autorité des préfets : " le lien traditionnel du recteur avec l’université étant rompu […] la brèche ne peut que s’élargir et ouvrir la voie à la banalisation ".
Les ‘’recteurs’’ ont été institués par Napoléon ( le ‘’grand’’ pas le ‘’petit’’ ), à qui ils doivent leur existence et leur place ( peu ordinaire ). On a, on le voit, la filiation bonapartiste qu’on peut…
Cette histoire commence à la création de " l’Université " par Napoléon I, en 1806. La reprise même du terme " Université " ( " universitas " signifie corporation au Moyen Âge ) situe bien ce qui est en jeu. L’Université impériale est plus qu’une administration : elle est une corporation laïque. Elle s’administre elle-même. Le Grand-Maître qui la dirige est certes nommé par l’Empereur, mais il jouit d’une large autonomie. Le territoire national est divisé en académies ( une par cour d’appel ), à la tête desquelles sont placés des recteurs représentant le Grand-Maître. Il est remarquable que l’Empereur – qui a pourtant mis en place la forte présence des préfets dans les départements – ne veut pas que l’administration de l’Ecole relève de l’administration commune, ordinaire : les enseignants et les chefs d’établissements sont responsables devant une instance – l’académie et son recteur – qui n’a pas d’équivalent ( les régions n’existent pas encore, et les départements sont à un échelon inférieur ). Napoléon considère en effet que l’Ecole ( qui est à ses yeux une magistrature d’ordre culturel et spirituel ) doit être, à l’instar de la Justice, dirigée de façon extra-ordinaire ( spécifique, autonome, et par les siens ). Comme le dit lui-même Napoléon, " il y aurait un corps enseignant si l’on ne pouvait être proviseur ou censeur qu’après avoir été professeur ".
Un autre grand fondateur de l’Ecole française – François Guizot - a très bien saisi ce qui était en jeu, et il l’a même théorisé : " L’autorité souveraine peut diriger l’Instruction publique de deux manières : 1° par la voie et d’après les principes de l’administration générale et ordinaire ; 2° en la confiant à un grand corps formé d’après certaines règles et soumis à un gouvernement spécial […]. Or l’administration de l’Instruction publique diffère essentiellement de tout le reste ".
Mais encore faut-il ne pas être ‘’commun’’ ( ‘’très ordinaire’’ ) pour saisir que l’Education nationale diffère ‘’essentiellement’’ ( par ‘’essence’’ ) ‘’de tout le reste’’. En l’occurrence le dernier décret sur les recteurs n’est pas un ‘’détail’’ ( comme disait l’autre ) : il est révélateur d’une politique, et d’un homme.