Il y a tout juste cinq ans, Nicolas Sarkozy commençait une campagne – plusieurs fois répétée – pour qu’il puisse y avoir des policiers à demeure dans les établissements scolaires. Où en est-on, les moments intenses de médiatisation passés ?
Parce qu’il est en difficulté sur ses réformes, le ministre de l’Education nationale multiplie les tentatives pour faire diversion, comme soulever le ‘’problème’’ de l’uniforme à l’école il y a dix jours, ou annoncer 5000 postes ‘’miraculeux’’ de médiateurs pour lutter contre l’absentéisme aujourd’hui. On ne le suivra pas sur ce terrain des leurres. Mais on peut revenir sur l’un des aspects – à la fois significatif et mystérieux - des politiques scolaires menées en matière de violences, d’autant que lundi dernier Xavier Darcos participait à une table ronde présentant les dispositifs de prévention et de lutte en vigueur.
Le 23 janvier 2004, un protocole voté par le conseil d’administration du collège Edouard Manet de Villeneuve-la-Garenne définissait les conditions de présence d’un " policier référent ", proposée par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy à une délégation de parents et d’enseignants à la suite d’un jet d’acide.
En février 2003, Xavier Darcos avait fait un déplacement à Londres pour visiter une école qui expérimentait la présence permanente d’un policier. Interrogé par " Libération ", le ministre délégué aux enseignements scolaires avait déclaré : " Je constate qu’il n’est pas absurde d’avoir un policier à demeure, auquel les élèves s’habituent, plutôt que d’en voir débarquer dix, qui ne connaissent pas l’établissement, dans une situation de crise ".
Mais la plupart des syndicats enseignants et la FCPE ( la Fédération des conseils de parents d’élèves ) s’opposèrent fortement à ce type de projet. Finalement, les ministères de l’Intérieur et de l’Education nationale se contentèrent de signer en octobre 2004 un protocole instaurant un gendarme ou un policier " correspondant " pour chaque établissement sensible. " La place de la police n’est naturellement pas de s’installer à l’école ", avait sobrement commenté le ministre alors en charge de l’Education nationale, François Fillon ( " Le Monde " du 5 octobre 2004 ).
Mais, deux ans après, l’émotion qui suit l’agression de Karen Montet-Toutain ( une enseignante en arts plastiques poignardée en plein cours ) donne l’occasion de relancer la campagne initiée par Nicolas Sarkozy. Au cours d’une conférence de presse tenue dès le 19 décembre 2005, trois jours après l’agression, le ministre de l’Education nationale Gilles de Robien annonce qu’il ouvre une réflexion avec les autres ministres concernés ( Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, et Pascal Clément, ministre de la Justice ) en vue de " l’instauration de permanences au sein même des établissements ", des rendez-vous réguliers devant permettre " aux enseignants de faire part à la police et à la justice de toute difficulté, avant que les drames ne surviennent ".
La proposition du nouveau ministre de l’Education nationale Gilles de Robien est très fraîchement reçue par beaucoup d’organisations. La FSU la qualifie " au mieux de fausse bonne solution, au pire d’effet d’annonce ". Les deux principaux syndicats de policiers se montrent très fermement opposés à toute permanence policière.
Sans attendre, Nicolas Sarkozy annonce le 3 février 2006, devant un parterre de chefs d’établissement des Hauts-de-Seine dont il préside le Conseil général, que cette collectivité territoriale va devenir " le laboratoire de ce qu’il proposera ensuite pour la France " en particulier pour ce qui concerne la délinquance et les violences scolaires. Il conclut en affirmant que " l’école est un sanctuaire : on doit tout faire pour ", en particulier rendre possible des permanences policières dans les établissements qui en feraient " clairement la demande ".
Le 23 février, lors de la convention sur l’éducation tenue par l’UMP, Nicolas Sarkozy conclut son discours en affirmant que les établissements doivent " redevenir des espaces préservés contre la violence " et il appelle de façon réitérée à l’installation de permanences de policiers dans les établissements scolaires..
François Bayrou se démarque totalement de ce projet lors de la clôture du colloque sur l’éducation organisée par l’UDF le 11 mars 2006 : " Retrouver un collège paisible, cela ne se fera pas avec des policiers dans les établissements scolaires, car si nous acceptons l’idée que la loi de l’école est la même que celle de la rue, alors l’école a perdu. Les valeurs de la rue, c’est trop souvent – hélas ! – la loi du plus fort. Et la police est là pour imposer la force de la loi aux caïds qui veulent prendre le dessus. Les valeurs de l’école ce n’est pas la loi du plus fort, c’est la loi du respect. Si l’on veut sauver l’école, il faut défendre son système de valeurs ! ".
Le 24 février, Nicolas Sarkozy signe un " protocole départemental expérimental visant à renforcer la sécurité " avec le préfet et l’inspecteur d’académie des Hauts-de-Seine, et il annonce que douze collèges ont été sélectionnés. Mais, début mars, les conseils d’administration de deux de ces collèges ( Jean-Jaurès et Jean-Macé de Clichy-la-Garenne ) refusent le dispositif prévu et l’installation d’un policier à demeure.
Est-ce le résultat de cette " expérimentation" en vraie grandeur, toujours est-il que, dans la circulaire interministérielle portant sur la " lutte contre la violence " qui paraît le 16 août 2006 sous les signatures de Gilles de Robien ( ministre de l’Education nationale), Nicolas Sarkozy ( ministre de l’Intérieur ) et Pascal Clément ( ministre de la Justice), il est dûment indiqué que " le chef d’établissement peut, après en avoir informé son conseil d’administration, en concertation avec les services de police ou les unités de gendarmerie, demander à ceux-ci d’organiser, dans l’enceinte de l’établissement, une permanence d’un agent des forces de l’ordre. Ce dernier sera à même de participer à des actions de prévention, il sera à l’écoute des personnels et des élèves, et pourra intervenir en cas de problème ". Il est aussi dûment préciséque " les autorités académiques inciteront les chefs d’établissements dans lesquels les actes de violence sont très fréquents à demander la mise en place d’un tel dispositif ".
C’est donc le chef d’établissement ( et non le conseil d’administration ) qui a le droit d’initiative et de décision ( c’est lui qui se porte " volontaire " et non " la communauté éducative " ) quitte à ce qu’il en ait aussi le devoir ( puisque " les autorités académiques " peuvent avoir le droit et le devoir de l’" inciter " à le faire ).
Durant la campagne des présidentielles, François Bayrou proclame à nouveau son opposition à ce type de mesures, que Nicolas Sarkozy a encore évoqué : " Une erreur de la pensée, car la loi de l’école ce sont les enseignants et les éducateurs ; si on met des policiers à l’école, c’est la défaite de l’éducation et ce sera la loi du plus fort " ( sur France II, le 13 février 2007 ).
Ségolène Royal se montre très réservée : " Plutôt que des policiers dans les établissements, on doit constater l’importance, pour réussir, d’équipes pédagogiques soudées et motivées, au clair sur leur projet et cohérentes dans leurs relations avec leurs élèves " ( Bondy, fin mai 2006 ). Et cela, alors même qu’elle fait quelques propositions qui créent la surprise car elles sont plutôt iconoclastes à gauche ( notamment de " retirer des collèges les élèves qui y font la loi et qui pourrissent la totalité d’un établissement scolaire " et leur " placement d’office dans des internats relais de proximité " ; et, surtout, de placer les adolescents délinquants de plus de 16 ans – donc hors obligation scolaire – dans des " systèmes d’encadrement à dimension militaire, avec des actions humanitaires " ).
En mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu président de la République, et Xavier Darcos est nommé ministre de l’Education nationale. Où en est-on de l’application de la circulaire interministérielle du 16 août 2006 ? Si quelqu’un le sait, qu’il le dise ! Le mystère est entier, et le silence persistant : il n’y a plus de campagne médiatique là-dessus. Etrange. Vous avez dit étrange? Comme c’est étrange !